Page:Sue - Les Sept Péchés capitaux, 1852.djvu/141

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puleuse attention, et surtout ne pas vous étonner de ce qu’il peut y avoir de singulier… d’étrange… d’extraordinaire… même, dans les faits que je vais avoir l’honneur de vous communiquer.

Olivier regarda le formaliste baron avec une nouvelle surprise, tandis que le tuteur de mademoiselle de Beaumesnil jetait un imperceptible regard vers la portière qui fermait le salon dans lequel Herminie, Ernestine et M. de Maillefort, étaient réunis, écoutant cet entretien.

— Monsieur, — reprit le baron en s’adressant à Olivier, — il y a quelque temps, vous êtes allé à un château, près de Luzarches, afin d’aider un maître maçon à établir le relevé des travaux qu’il avait entrepris dans cette propriété ?

— Cela est vrai, monsieur… — répondit Olivier, ne voyant pas où tendait cette question.

— Ces relevés terminés, vous êtes resté plusieurs jours au château, afin de vous occuper de différents comptes et écritures que le régisseur vous a proposé de faire pour lui ?

— Cela est encore vrai, monsieur.

— Ce château, — reprit le baron d’un air important, — appartient à mademoiselle de Beaumesnil… la plus riche héritière de France.

— C’est en effet, monsieur, ce que j’avais appris durant mon séjour dans cette propriété…mais puis-je enfin savoir le but de ces questions ?

— À l’instant même, monsieur ; seulement, veuillez me faire la grâce de jeter les yeux sur cet acte…

Et le baron prit sur son bureau une double feuille de papier timbré qu’il remit à Olivier.

Pendant que celui-ci, de plus en plus étonné, parcourait ce papier, le baron reprit :

— Vous verrez par cet acte, monsieur, qui est un double de la délibération du conseil de famille convoqué après le décès de feue madame la comtesse de Beaumesnil, vous verrez, dis-je, par cet acte, que je suis tuteur et curateur de mademoiselle de Beaumesnil.

— En effet, monsieur, — répondit Olivier en tendant l’acte au baron, — mais je ne comprends pas de quel intérêt cette communication peut être pour moi.

— Je tenais d’abord, monsieur, à vous édifier sur ma position légale, officielle… judiciaire, auprès de mademoiselle de Beaumesnil, afin que tout ce que je pourrai avoir l’honneur de vous dire, au sujet de ma pupille, ait à vos yeux une autorité évidente… irrésistible… incontestable.

Ce langage, monotone et mesuré comme le mouvement d’un pendule, commença d’impatienter d’autant plus Olivier qu’il ne pouvait s’imaginer où devaient aboutir ces graves préliminaires ; aussi regarda-t-il le baron d’un air si ébahi que M. de La Rochaiguë se dit :

— On croirait, en vérité, que je lui parle hébreu… il ne sourcille pas au nom de mademoiselle de Beaumesnil, qu’il n’a point seulement l’air de connaître… Qu’est-ce que tout cela signifie ? Ce diable de marquis avait bien raison de me dire que je devais m’attendre à de surprenantes choses.

— Pourrais-je enfin savoir, monsieur, — reprit Olivier avec une vivacité contenue, — en quoi il m’intéresse que vous soyez ou non le tuteur de mademoiselle de Beaumesnil ?

— Arrivons au mensonge, — se dit le baron, — et voyons-en l’effet.

Puis il reprit tout haut :

— Monsieur, vous avez fait, ainsi que vous en êtes convenu, un assez long séjour au château de Beaumesnil !

— Oui, monsieur, — répondit Olivier avec une impatience de plus en plus difficile à modérer, — je vous l’ai déjà dit.

— Vous ignoriez peut-être, monsieur, que mademoiselle de Beaumesnil se trouvait à ce château en même temps que vous !

— Mademoiselle de Beaumesnil ?

— Oui, monsieur, — reprit imperturbablement le baron en pensant qu’il mentait avec une aisance et un aplomb diplomatiques, — oui, monsieur, mademoiselle de Beaumesnil se trouvait à ce château pendant que vous y étiez aussi.

— Mais on disait cette demoiselle alors en pays étranger, monsieur ? et d’ailleurs je n’ai vu personne au château.

— Cela ne m’étonne point, monsieur, — ajouta le baron d’un air fin ; — mais le fait est que mademoiselle de Beaumesnil, de retour en France depuis très peu de jours, avait voulu passer le premier temps du deuil de madame sa mère dans ce château, et comme elle voulait y être dans la plus complète solitude, elle avait recommandé un secret absolu sur son arrivée dans cette propriété.

— Soit, monsieur… alors j’ai dû ignorer cette circonstance comme tout le monde, car je demeurais dans la maison du régisseur, située assez loin du château, que l’on disait inhabité… Mais, encore une fois, monsieur, à quoi bon me rappeler… ?

— Je vous supplie, monsieur, de ne pas vous impatienter, — dit le baron en interrompant Olivier, — et de me prêter une religieuse attention, car il s’agit, je vous le répète, de choses du plus grave… du plus haut… du plus grand intérêt pour vous.

— Cet homme m’agace horriblement les nerfs avec ses redoublemens d’épithètes… Où veut-il en venir ?… qu’ai-je de commun avec mademoiselle de Beaumesnil et ses châteaux ? — se demandait Olivier.

— Le maître maçon pour lequel vous avez fait plusieurs écritures, — poursuivit le baron, — n’a pas caché au régisseur que le produit de ces travaux que vous vous imposiez pendant votre congé était destiné à venir en aide à M. votre oncle, que vous entouriez d’une tendresse filiale…

— Eh ! mon Dieu ! monsieur, à quoi bon parler d’une chose si simple ? Je vous en conjure, arrivons au fait… au fait !

— Le fait… le voici, monsieur, — reprit le baron avec un geste solennel, — c’est que votre généreuse conduite envers monsieur votre oncle a été rapportée à mademoiselle de Beaumesnil par son régisseur.

— Eh bien ! après, monsieur ? — s’écria Olivier, dont la patience était à bout ; — ensuite, qu’en concluez-vous ? où voulez-vous en venir ?

— Je veux en venir, monsieur, à vous apprendre que mademoiselle de Beaumesnil est une jeune personne du meilleur cœur, du plus noble caractère, et, comme telle, plus sensible que personne aux actions généreuses… Aussi, lorsqu’elle a su votre dévoûment pour monsieur votre oncle, elle a été si touchée… qu’elle a désiré vous voir.

— Moi ?… — dit Olivier d’un ton parfaitement incrédule.

— Oui, monsieur, ma pupille a voulu vous voir, mais sans être vue de vous ; et, bien plus, elle a désiré vous entendre plusieurs fois causer en toute liberté… aussi d’accord avec le régisseur. En un mot, mademoiselle de Beaumesnil a trouvé le moyen d’assister, invisible pour vous, à plusieurs de vos entretiens, soit avec ledit régisseur, soit avec le maître maçon pour lequel vous travailliez… Ces entretiens ont tellement mis en relief aux yeux de ma pupille la droiture, l’élévation de vos sentimens, qu’elle a été aussi frappée de la noblesse de votre cœur que de vos agrémens personnels… et qu’alors…

— Monsieur, — dit vivement Olivier en devenant pourpre, — il me serait pénible de croire qu’un homme de votre âge et de votre gravité… pût s’amuser à faire de mauvaises plaisanteries, et pourtant je n’admettrai jamais que vous parliez sérieusement…

— J’ai eu l’honneur, monsieur, de vous communiquer l’acte qui me constitue le tuteur de mademoiselle de Beaumesnil, afin de vous donner toute créance en mes paroles ; je vous ai ensuite prévenu que ce que j’avais à vous dire devait vous paraître singulier… étrange… extraordinaire, et vous ne pouvez croire qu’un homme de mon âge, posé d’une certaine façon… dans un certain monde, ose se jouer des intérêts sacrés qui lui sont confiés, et veuille rendre un homme aussi honorable que vous, monsieur, la dupe d’une déplorable plaisanterie.

— Soit, monsieur, — reprit Olivier, ramené par les pa-