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que le garde-notes accueillit avec un sourire d’intelligence ; après quoi le marquis dit à haute voix :

— Nous pouvons, je crois, entendre la lecture des contrats.

— Sans doute, — reprit madame de Senneterre.

Les différens acteurs de cette scène étaient placés ainsi :

Herminie et Ernestine, assises l’une à côté de l’autre, avaient, la première, à sa droite, madame et mademoiselle de Senneterre ; la seconde, à sa gauche, madame Laîné qui jouait son rôle muet d’une façon très convenable.

Debout, derrière Herminie et Ernestine, se tenaient Olivier, Gerald, le commandant Bernard et le baron de La Rochaiguë, dont la présence à cette réunion étonnait singulièrement Olivier, et lui causait une vague inquiétude, quoiqu’il fût toujours bien loin de se douter qu’Ernestine, la brodeuse et mademoiselle de Beaumesnil ne fussent qu’une seule et même personne.

M. de Maillefort était resté à l’extrémité de la chambre, assis à côté du notaire, qui, prenant un des actes, dit au bossu :

— Nous allons commencer, si vous le voulez bien, monsieur le marquis, par le contrat de M. le duc de Senneterre.

— Certainement, — dit le bossu en souriant, — mademoiselle Herminie est l’aînée de mademoiselle Ernestine ; on lui doit cet honneur.

Le notaire, s’inclinant légèrement devant ses auditeurs, se disposait donc à lire le contrat de mariage d’Herminie, lorsque M. de La Rochaiguë se leva, prit une pose des plus parlementaires, et dit gravement :

— Je demanderai à l’honorable assistance la permission de présenter quelques observations avant la lecture du contrat.


LXV.


Olivier Raimond, déjà très surpris de la présence du baron de La Rochaiguë, devint presque inquiet en l’entendant dire à l’assemblée :

— Je demande à présenter quelques observations à l’honorable assistance avant la lecture des deux contrats qu’elle se prépare à entendre.

— Monsieur le baron de La Rochaiguë a la parole, — reprit M. de Maillefort en souriant.

— Encore une fois, qu’est-ce que ce diable d’homme vient donc faire et dire ici ? — reprit tout bas Olivier à Gerald.

— Je n’en sais ma foi rien, mon bon Olivier, — répondit le duc de Senneterre de l’air du monde le plus candide, — écoutons, nous le saurons.

Le baron toussa, glissa la main gauche sous le revers de son habit, et dit de sa voix la plus grave :

— Au nom des intérêts qui me sont confiés, je prie monsieur Olivier Raimond de vouloir bien répondre à quelques questions que je me permettrai de lui adresser.

— Je suis à vos ordres, monsieur, — répondit Olivier de plus en plus surpris.

— J’aurai donc l’honneur de demander à monsieur Olivier Raimond si je ne lui ai pas proposé, en ma qualité de tuteur de mademoiselle de Beaumesnil, ayant pouvoir et mission de faire cette proposition ; si je ne lui ai pas proposé, dis-je, la main de ma pupille, mademoiselle de Beaumesnil ?

À ces mots, Ernestine échangea un regard significatif avec M. de Maillefort.

— Monsieur… — répondit Olivier au baron en rougissant, aussi contrarié qu’embarrassé de cette interpellation à lui faite devant plusieurs personnes qu’il ne connaissait pas, — je ne comprends ni la nécessité, ni l’opportunité de la question que vous m’adressez.

— Je suis donc obligé de faire appel à la loyauté, à la sincérité, à la franchise bien connues de l’honorable assistant, — reprit solennellement le baron, — et de l’adjurer de répondre à cette question : Lui ai-je proposé, oui ou non, la main de ma pupille, mademoiselle de Beaumesnil ?

— Eh bien ! oui… monsieur… — dit Olivier avec impatience, — cela est vrai.

— Monsieur Olivier Raimond, — reprit le baron, — n’a-t-il pas refusé nettement, catégoriquement… positivement, cette proposition ?

— Oui, monsieur…

— L’honorable assistant ne m’a-t-il pas donné pour raison de son refus « un engagement de cœur et d’honneur pris précédemment, et qui devait, disait-il, assurer le bonheur de sa vie ? » Ne sont-ce pas là les propres paroles de l’honorable assistant ?

— Il est vrai, monsieur, et, grâce à Dieu, ce qui était alors pour moi la plus chère des espérances… va devenir aujourd’hui une réalité, — ajouta le jeune homme en regardant Ernestine.

— Un tel désintéressement est vraiment inouï, — dit à demi-voix la duchesse de Senneterre à sa fille. — C’est la fréquentation de ces gens-là qui a gâté notre pauvre Gerald.

Mademoiselle de Senneterre baissa les yeux et n’osa pas répondre à sa mère, qui reprit :

— Mais, je n’y comprends plus rien… puisque cet héroïque monsieur refuse mademoiselle de Beaumesnil, que vient-elle faire ici… et son imbécile de tuteur aussi ?… je m’y perds… Attendons.

Ernestine, malgré la joie et la fierté que lui causait cette espèce de publicité donnée à la noble conduite d’Olivier, n’était cependant pas encore absolument rassurée au sujet des scrupules qu’il pouvait ressentir en apprenant que la petite brodeuse était mademoiselle de Beaumesnil.

— Je n’ai plus qu’à remercier M. Olivier Raimond de la loyauté de ses réponses, — dit le baron en se rasseyant, — et l’honorable assistance voudra bien prendre acte des nobles paroles de mon interlocuteur.

— Pourquoi diable ! ce gaillard à longues dents, et qui est aussi important qu’un Suisse de cathédrale, vient-il de débiter ses phrases ?… — demanda tout bas le commandant Bernard à Olivier et à Gerald.

— Je n’y comprends rien, mon oncle ; je suis comme vous très étonné que ce monsieur vienne rappeler ici… et à ce moment, la proposition que l’on m’a faite !

— Cela ne peut avoir d’autre inconvénient, — répondit Gerald en souriant, — que de rendre ta chère Ernestine encore plus éprise de toi en apprenant que tu as sacrifié à ton amour pour elle…

— Et c’est justement l’espèce de retentissement donné à une action si simple qui me contrarie beaucoup… — reprit Olivier…

— Et tu as raison, mon enfant, — ajouta le vieux marin. — On fait ces choses-là pour soi… et pas pour les autres. — Puis, s’adressant au duc de Senneterre : — Dites donc, monsieur Gerald, ce brave petit bossu qui est à côté du notaire est le marquis dont vous m’avez parlé, n’est-ce pas ?

— Oui, mon commandant.

— C’est drôle, il a parfois l’air malin comme un singe, et parfois bon comme un enfant… Tenez, maintenant, avec quelle douceur il regarde mademoiselle Herminie !

— M. de Maillefort est un cœur comme le vôtre, mon commandant, c’est tout dire.

— Silence, Gerald, — dit tout bas Olivier ; — le notaire se lève, il va lire ton contrat.

— C’est pour la forme, — dit Gerald ; — car, au fond, peu importe ce contrat ; les véritables conditions de notre amour, nous les avons réglées de cœur à cœur avec Herminie.

Le mouvement d’attention et de curiosité excité par l’in-