Page:Sue - Les Sept Péchés capitaux, 1852.djvu/154

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terpellation de M. de La Rochaiguë étant calmé, le notaire commença la lecture des contrats de mariage d’Herminie et de Gerald.

Lorsque, après les préliminaires d’usage, le garde-notes arriva à l’énonciation des noms, prénoms et qualités des époux, M. de Maillefort lui dit en souriant et d’un air d’intelligence :

— Monsieur, passons, passons… si vous le voulez bien, nous savons les noms, et arrivons au point important, aux réglemens des questions d’intérêt entre les deux époux.

— Soit, monsieur lei marquis, — répondit le notaire, et il continua :

« — Il est convenu par le présent contrat, que lesdits époux sont et seront séparés de biens, quant à ceux qu’ils possèdent et ceux qu’ils pourraient posséder un jour. »

— C’est vous, ma chère enfant, — dit le marquis à Herminie, en interrompant le notaire, — qui, lorsque je vous ai expliqué hier les différens modes qui régissaient les questions d’intérêt entre les époux, avez insisté pour que la séparation de biens eût lieu, et cela par un sentiment d’extrême délicatesse, car, ne possédant rien que le beau talent dont vous avez si honorablement vécu jusqu’ici, vous avez absolument refusé la communauté de biens et les avantages que M. de Senneterre eût été si désireux de vous voir accepter.

Herminie baissa les yeux en rougissant et répondit :

— Je suis presque certaine, monsieur, que M. de Senneterre excusera et comprendra mon refus.

Gerald s’inclina respectueusement tandis que Berthe, sa jolie sœur, disait tout bas à sa mère :

— Comme les sentimens de mademoiselle Herminie sont bien d’accord avec sa charmante figure si noble, si distinguée ! n’est-ce pas maman ?

— Certainement… oh ! certainement, — répondit madame de Senneterre avec distraction, car elle se disait à part soi : — avec ces belles délicatesses-là, ma belle-fille, ignorant que le marquis l’avantage énormément, n’en sera pas moins séparée de biens avec mon fils ; mais bah !… elle l’aime tant, que lorsqu’elle se saura riche elle reviendra sur cette disposition.

Le notaire poursuivit :

« Il est convenu et entendu que les enfans mâles qui pourront naître dudit mariage joindront, eux et leurs descendans, à leur nom de Senneterre celui de Haut-Martel. Cette clause a été consentie par lesdits époux, à la demande de Louis-Auguste, marquis de Maillefort, prince-duc de Haut-Martel. »

Herminie ayant fait un mouvement de surprise, le bossu lui dit en regardant Gerald :

— Ma chère enfant, ceci est un petit arrangement de vanité nobiliaire, auquel Gerald a donné son approbation, certain que vous ne verrez aucun inconvénient à ce que votre fils porte, joint à son illustre nom… le nom d’un homme qui vous regarde et qui vous aime comme sa fille.

Un touchant regard d’Herminie, empreint de reconnaissance et de respectueuse tendresse, répondit au bossu, qui dit au notaire :

— Cet article est le dernier du contrat ?

— Oui, monsieur le marquis.

— Nous pourrons lire maintenant le contrat de mademoiselle Ernestine, — reprit le bossu, — l’on signerait ensuite les deux contrats.

— Certainement, monsieur le marquis, — répondit le notaire.

— À notre tour, mon garçon, dit tout bas le commandant Bernard à son neveu, — quel dommage de ne pouvoir mettre dans ce contrat que je vous donne, à cette chère enfant et à toi, une bonne petite fortune… Mais, hélas ! mon pauvre ami, — ajouta le vieux marin, d’un air à la fois souriant et attristé, tout ce que je vous laisserai jamais… après moi, ce sera la bonne vieille maman Barbançon… Merci du cadeau de noces… n’est-ce pas ?

— Allons, mon oncle, pas de ces idées-là…

— Et dire que nous sommes trop pauvres pour lui offrir, à cette chère Ernestine, le moindre petit présent de fiançailles ; j’avais pensé à vendre nos six couverts d’argent ; mais madame Barbançon n’a pas voulu, disant que ta femme aimerait mieux un peu d’argenterie que des affiquets.

— Et madame Barbançon avait bien raison, mon oncle ; mais silence… écoutez.

En effet, le notaire, prenant le second contrat, dit tout haut :

— Nous allons passer aussi les noms ?

— Passez… passez, — dit le marquis.

— J’arrive au seul et unique article concernant le réglement des questions d’intérêt entre les deux époux.

— Ça ne sera pas long, — dit tout bas le commandant Bernard.

— Monsieur, — reprit Olivier en souriant, — permettez-moi de vous interrompre ; cet article du contrat me paraît superflu, car, j’ai eu l’honneur de vous le dire hier, je ne possède rien que mon traitement de sous-lieutenant, et mademoiselle Ernestine Vert-Puits ne possède rien non plus que son état de brodeuse.

— Cela est vrai, monsieur, — reprit le notaire en souriant à son tour ; — mais cependant, comme il faut se marier sous un régime quelconque, j’ai cru pouvoir adopter celui dont je vous parle, parce qu’il est le plus simple… et insérer au contrat que vous vous mariez en communauté de biens avec mademoiselle Ernestine Vert-Puits.

— Alors, il eût été plus régulier de dire que nous nous marions on communauté de non-biens, — reprit gaîment Olivier ; — mais c’est égal, puisque c’est l’usage, nous acceptons la clause, n’est-ce pas, mademoiselle Ernestine ?

— Certainement, monsieur Olivier, reprit mademoiselle de Beaumesnil.

— Allons, monsieur le notaire, — reprit le jeune homme en riant, — c’est entendu, moi et mademoiselle Ernestine nous mettons tous nos biens en commun… tous sans exception, depuis mon épaulette de sous-lieutenant jusqu’à son aiguille de brodeuse, donation complète, mutuelle !

— Et il n’y aura pas de difficultés pour le partage, — dit tout bas le commandant Bernard en soupirant. — Ah !… je n’ai jamais eu envie d’être riche, si ce n’est aujourd’hui !

— Il est donc entendu que l’article relatif à la communauté de biens subsiste au contrat, — reprit le notaire, — je poursuis :

« Lesdits époux se marient sous le régime de la communauté de biens, et se font une donation mutuelle et complète de tous les biens mobiliers, immobiliers et autres valeurs quelconques, qu’ils pourraient posséder un jour, de leur chef ou par héritage. »

— Des héritages ! pauvres enfans ; ma croix et ma vieille épée…voilà ce qu’ils ont à attendre de moi, monsieur Gerald ; — dit tout bas le vétéran au duc de Senneterre.

— Bah ! mon commandant, — reprit gaîment Gerald, — qui, sait ?

Pendant que le vieux marin, ne partageant pas l’espérance de Gerald, secouait mélancoliquement la tête, le notaire reprit, en s’adressant à Ernestine et à Olivier :

— Cette rédaction vous paraît convenable, mademoiselle, et à vous aussi, monsieur ?

— Je suis d’avance de l’avis de M. Olivier à ce sujet, dit mademoiselle de Beaumesnil.

— Je trouve la rédaction parfaite, monsieur le notaire, — dit Olivier toujours gaîment, — et je vous certifie que de votre vie vous n’aurez inséré, dans un contrat, une clause moins sujette à contestation que celle-là.

— Maintenant, — reprit gravement le notaire en se levant, — nous allons procéder à la signature des contrats.

Madame de Senneterre, ayant profité de ce mouvement général, s’approcha de M. de La Rochaiguë, et lui dit, sortant à peine de sa stupeur :

— Ah çà ! mon cher baron, pourriez-vous me dire ce que cela signifie ?

— Quoi donc ! madame la duchesse ?

— L’imbroglio qui se joue ici.