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— Certainement, mademoiselle… mais…

— Je n’ai pas de mère… je n’ai pas de famille, — poursuivit tristement Herminie. — À qui donc, si ce n’est à moi… madame de Senneterre doit-elle s’adresser, lorsqu’il s’agit de mon mariage ?

— Un mot seulement, mademoiselle. Cette démarche de madame de Senneterre serait possible si ce mariage… lui semblait convenable…

— Et c’est à cela que je prétends, monsieur Olivier.

— Mais la mère de Gerald ne vous connaît pas, mademoiselle.

— Si madame de Senneterre a de son fils une assez mauvaise opinion pour le croire capable de faire un choix indigne, qu’elle s’informe de moi… Grâce à Dieu… je ne crains rien…

— C’est vrai, — dit Olivier, à bout d’objections raisonnables, — je n’ai rien à faire à cela.

— Voici mon dernier mot, monsieur Olivier, — reprit Herminie : — ou mon mariage avec Gerald conviendra à madame de Senneterre, et elle m’en donnera la preuve en faisant auprès de moi la démarche que je demande ; sinon… elle me jugera indigne d’entrer dans sa famille… alors de ma vie je ne reverrai monsieur de Senneterre.

— Mademoiselle Herminie… par pitié pour Gerald…

— Ah !… croyez-moi… je mérite plus de pitié… que monsieur de Senneterre, — dit la jeune fille, ne pouvant contraindre plus longtemps ses larmes et cachant sa figure dans ses mains, — car, moi… je mourrai de chagrin peut-être… mais du moins jusqu’à la fin… j’aurai été digne de Gerald et de mon amour.

Olivier était désolé… Il ne pouvait s’empêcher d’admirer cet orgueil, quoiqu’il en déplorât les conséquences en songeant au désespoir de Gerald.

Soudain on entendit sonner à la porte de la jeune fille.

Celle-ci redressa sa tête, essuya les larmes dont son beau visage était inondé ; puis, se rappelant la lettre de mademoiselle de Beaumesnil, elle dit à Olivier :

— C’est sans doute Ernestine… Pauvre enfant, je l’avais oubliée… Monsieur Olivier… voulez-vous avoir la bonté d’aller ouvrir pour moi ?…

Ajouta la duchesse en portant son mouchoir à ses yeux, afin d’effacer les traces de ses pleurs.

— Un mot encore, mademoiselle ; — reprit Olivier d’un ton pénétré, presque solennel, — vous ne pouvez vous imaginer quelle est l’exaltation de l’amour de Gerald… vous savez si je suis sincère. Eh bien ! j’ai peur… pour lui… entendez-vous bien… j’ai peur… en songeant aux suites de votre refus…

Herminie tressaillit aux effrayantes paroles d’Olivier. Pendant quelques instants, elle parut en proie à une lutte pénible… mais elle en triompha, et l’infortunée, brisée par cette torture morale, répondit à Olivier d’une voix presque défaillante :

— Il m’est affreux de désespérer Gerald, car je crois à son amour parce que je sais le mien… je crois à sa douleur… parce que je sens la mienne — mais jamais je ne sacrifierai ma dignité qui est aussi celle de Gerald…

— Mademoiselle…je vous en supplie…

— Vous savez mes résolutions, monsieur Olivier… je n’ajouterai pas un mot. Ayez pitié de moi… vous le voyez… cet entretien me tue…

Olivier, accablé, s’inclina devant Herminie, et se dirigea vers la porte ; mais à peine l’eut-il ouverte, qu’il s’écria :

— Mon oncle ! et vous, mademoiselle Ernestine ! Grand Dieu ! cette pâleur… ce sang à votre front… qu’est-il arrivé ?

À ces mots d’Olivier, Herminie sortit précipitamment de sa chambre et courut à la porte d’entrée.


XLI.


Telle était la cause de la surprise et de l’effroi d’Olivier, lorsqu’il eut ouvert la porte de la demeure de la duchesse.

Le commandant Bernard, pâle, la figure bouleversée, semblait se soutenir à peine ; il s’appuyait sur le bras de mademoiselle de Beaumesnil.

Celle-ci, aussi pâle que le vieux marin, et vêtue d’une modeste robe d’indienne, avait le front ensanglanté, tandis que les brides de son chapeau de paille flottaient dénouées sur ses épaules.

— Mon oncle, qu’avez-vous ? — s’écria Olivier, s’approchant vivement du vétéran et le regardant avec une angoisse inexprimable, — qu’est-il donc arrivé ?

— Ernestine, — s’écriait en même temps Herminie effrayée, — mon Dieu ! vous êtes blessée !…

— Ce n’est rien… Herminie, — répondit la jeune fille d’une voix tremblante en tâchant de sourire, — ce n’est rien… mais pardonnez… si je viens avec monsieur… c’est que… tout à l’heure… je…

La pauvre enfant ne put continuer ; ses forces, son courage étaient à bout, ses lèvres blanchirent… ses yeux se fermèrent, sa tête se renversa doucement en arrière, ses genoux se dérobèrent sous elle, et elle tombait sans Herminie qui la reçut dans ses bras.

— Elle se trouve mal, — s’écria la duchesse, — monsieur Olivier, aidez-moi… portons-la dans ma chambre…

— C’est moi… c’est moi qui suis cause de ce malheur ! — dit le commandant Bernard dans sa douloureuse anxiété.

Et il suivit d’un pas chancelant, tant sa faiblesse était grande encore, Olivier et Herminie qui transportaient Ernestine dans la chambre à coucher.

— Pauvre petite, — murmura le vétéran, — quel cœur, quel courage !…

La duchesse, ayant assis Ernestine sur son fauteuil, ôta le chapeau qu’elle portait, écarta de son front pur et blanc ses beaux cheveux châtains, dont les énormes tresses se déroulèrent sur ses épaules, puis, pendant que la tête appesantie de mademoiselle de Beaumesnil était soutenue par Olivier, Herminie, à l’aide de son mouchoir, étancha le sang d’une blessure heureusement légère que la jeune fille avait un peu au-dessus de la tempe.

Le vieux marin, debout, immobile, les lèvres tremblantes, tenant entre ses mains jointes son petit mouchoir à carreaux bleus, contemplait cette scène touchante sans pouvoir trouver une parole, tandis que de grosses larmes tombaient lentement de ses yeux sur sa moustache blanche.

— Monsieur Olivier, soutenez-la… je vais chercher de l’eau fraîche et un peu d’eau de Cologne, — dit Herminie.

Et bientôt elle revint, portant une élégante cuvette de porcelaine anglaise et un flacon de cristal à demi rempli d’eau de Cologne.

Après avoir légèrement épongé la blessure d’Ernestine, avec de l’eau mélangée du spiritueux, Herminie en prit quelques gouttes dans sa main, et les fit aspirer à mademoisellede Beaumesnil…

Peu à peu les lèvres d’Ernestine se colorèrent, et une tiède rougeur remplaça la froide pâleur de ses joues…

— Dieu soit loué I… elle revient à elle, — dit Herminie, en relevant les tresses de la chevelure de l’orpheline, et les assujétissant sur sa tête au moyen de son peigne d’écaille.

Olivier, profondément touché de ce tableau, dit à la duchesse, qui, debout auprès du fauteuil, soutenait sur son sein agité la tête de mademoiselle de Beaumesnil:

— Mademoiselle Herminie, je regrette que ce soit dans une si triste circonstance que j’aie à vous présenter mon oncle… monsieur le commandant Bernard.