Page:Sully Prudhomme - Œuvres, Poésies 1865-1866.djvu/273

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Tuait la Créature au nom du Créateur.
La peste, le besoin, le cilice et les armes
Travaillaient tour à tour les générations,
Et chacune, en passant dans la rage et les larmes,
A balayé la terre aux vents des passions ;
Ainsi les ouragans qui poussent les nuages
Les font s’entre-choquer comme les bataillons,
Et de pluie et d’éclairs forment ces grands orages
Qui laissent derrière eux la campagne en haillons.
L’Asie a vu courir plus de vingt Alexandres ;
Que devient la verdure où passe le torrent ?
Les colosses d’Égypte ont ajouté leurs cendres
Aux sables que tourmente un soleil dévorant ;
L’Europe a vu pâlir ses plaines les plus belles
Sous la herse gauloise et le chariot germain,
Et sous la grande route aux dalles éternelles
Que fondait sous ses pas le lourd piéton romain.
Les rois vont pulluler sur l’empire en poussière,
Des trônes sont bâtis sur les épis broyés,
Chacun dispute à mort sa part dans la matière,
Chacun dispute à mort la place de ses pieds !

Dieu voilé, tu pouvais, pour punir cette engeance,
La laisser d’elle-même un jour s’anéantir,