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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

armes à feu, et par ce moyen écraser les Algonquins. Le 5 juin, toute une armée iroquoise parut devant les Trois-Rivières, pillant et massacrant les sauvages attirés par la traite aux alentours de ce poste. Marguerie fut envoyé en embassade vers M. de Champflour, le commandant ; mais celui-ci déclara qu’il ne ferait rien sans la permission du gouverneur-général. En conséquence, M. de Montmagny monta de Québec et entra en pourparlers avec les chefs, qui offraient de rendre Godefroy et Marguerie à condition « qu’on leur donnât à manger des arquebuses. » Refusez, dit Marguerie au gouverneur — et il lui exposa les projets secrets des ennemis. Le brave interprète jouait sa tête. Le père Ragueneau et Jean Nicolet tentèrent de détourner les Iroquois de la guerre ; on leur répondit qu’il n’était pas question des Français, mais seulement des Algonquins. « Ouvrez-nous les chemins lorsque nous viendrons les tuer, s’écriaient-ils, nous serons toujours vos amis. » Godefroy ajouta tout bas : « En abandonnant nos alliés, nous marcherions à la mort ! » C’était bien là ce que voulaient les Iroquois. Après des conférences qui durèrent plusieurs jours, trente-six Agniers, armés de fusils, se portèrent à des attaques qui dégénérèrent en un combat de plusieurs heures. Marguerie et Godefroy étaient passés du côté des Français ; une escouade de soldats arrivaient de Québec — les barbares lâchèrent pied et couvrirent le lac Saint-Pierre de leurs patrouilles, gênant la traite et enlevant des Algonquins jusque sous les canons du fort des Trois-Rivières. Il était inutile de les poursuivre avec des chaloupes « trop lourdes de nage » ou même en canots d’écorce, parce qu’ils n’attendaient jamais leurs adversaires, et s’en tenaient à la « petite guerre » toute composée d’embuscades et de surprises, genre dans lequel ils excellaient. « D’en tuer beaucoup, dit une Relation, c’est ce que les Français ne doivent pas prétendre, d’autant plus qu’ils courent comme des cerfs, ils sautent comme des daims ; ils connaissent mieux les êtres de ces grandes et épouvantables forêts que les bêtes sauvages qui les ont pour demeure. »

Le gouverneur-général demandait qu’on lui envoyât de France des secours et des hommes capables de protéger les colons ; mais les Cent-Associés, ou plutôt le bureau d’exploitation qui les représentait, n’avaient en vue que les bénéfices immédiats de la traite, encore très abondante dans le bas du fleuve, et ils ne s’occupaient nullement de la fondation d’une « Nouvelle-France » comme le comportaient les articles de leur charte. Louis XIII et Richelieu se mouraient. Les soldats de la mère-patrie se firent attendre trois ans, et encore ne vinrent-ils qu’en petit nombre, juste assez pour empêcher les Iroquois de consommer la ruine du Canada, et sans inspirer de la confiance aux pauvres habitants.

Au milieu de cette crise, deux guerriers, l’un algonquin, l’autre huron, se firent une renommée de vaillance : Piescaret et Ahatsistari. Malheureusement, ces races combattaient à la débandade, n’écoutant ni leurs chefs, ni les Français, ni la prudence la plus élémentaire. Simon Piescaret seul valait dix hommes ; à la tête de neuf Algonquins, il devenait inutile, ou à peu près. Nos annales célèbrent ses prouesses. Dans une course qu’il entreprit un jour pour fuir les gens de tout un canton iroquois qui le poursuivaient, il tourna ses raquettes bout pour bout, de sorte qu’il paraissait, à voir sa piste, marcher vers le sud, tandis qu’il se dirigeait au nord. Trompés par ce stratagème, les ennemis rebroussèrent chemin, croyant