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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

courir après lui. Il les suivit et assomma leurs traînards. Au milieu de ces guerres, où les privations demandaient une force physique supérieure, où l’adresse et la ruse remplaçaient l’art militaire, et où le talent de dresser des embuscades était si nécessaire, Piescaret n’avait pas de rivaux. Alerte et robuste, il prenait les orignaux à la course ; il s’attaquait à plusieurs hommes à la fois sans paraître en compter le nombre. Il partit seul, un jour, et alla se cacher dans un village iroquois, à plus de cinquante lieues des Trois-Rivières, sa demeure ordinaire. Le soir venu, il sortit de sa cachette et pénétra dans une cabane, cassa la tête à une famille entière, puis se retira dans une pile de bois de chauffage, non loin de là. L’émoi se répandit partout, mais impossible de découvrir le meurtrier. La nuit suivante, il en fît autant dans une autre cabane, n’oubliant pas de lever les chevelures ; il retourna dans la même retraite. La troisième nuit, tout le village était sur ses gardes ; pourtant, il sortit de nouveau et ouvrit la porte d’une maison où quelques hommes veillaient à demi pour prévenir une attaque. Avançant le bras, il fendit la tête du guerrier le plus proche et prit la fuite, ayant tous les autres sur les talons. Comme il était agile et dispos, il les devança pour les fatiguer, courut toute la journée, et, à la nuit tombante, trouvant un tronc d’arbre creux en bonne position, il s’y glissa. Ceux qui le poursuivaient commençaient à douter de pouvoir l’atteindre. Ils campèrent près de lui, firent du feu et s’endormirent. Profitant du bon moment de leur sommeil, Piescaret s’avance sans être vu ou entendu, leur casse la tête à tous, lève les chevelures, et s’en retourne tranquillement chez lui avec ces trophées. Dans une autre occasion, il chargea quinze fusils avec des balles ramées, c’est-à-dire enfilées d’un gros fil d’archal, et les déposa au fond d’un canot dans lequel il s’embarqua avec quatre compagnons. Ce canot isolé, monté par cinq hommes qui semblaient occupés à la pêche au milieu du fleuve, au large de l’embouchure de la rivière Richelieu, parut une proie facile à cinq canots iroquois embusqués dans le voisinage. En peu de temps, Piescaret se vit cerné et obligé de se rendre, ce qu’il exécuta prestement. À peine était-il à portée des canots qui l’enveloppaient que, saisissant ses armes, il fit feu de toutes parts avec ses hommes, et creva les frêles embarcations d’écorce de ses ennemis, qui n’eurent de ressource que de se sauver à la nage. On en assomma tant qu’on put, d’autres se noyèrent, et Piescaret amena le reste pour divertir son village. Ces actions extraordinaires, et plusieurs autres de même nature, dit Nicolas Perrot, le rendirent redoutable chez l’Iroquois. C’est sur cet homme que tombait la tâche de sauver la race algonquine, si elle eût pu être sauvée. Disons à sa louange que, malgré l’indiscipline dont ses compatriotes faisaient si souvent preuve, malgré la terreur du nom iroquois, enfin malgré l’insuffisance des secours fournis par les Français, il tint tête et fut la dernière digue qui s’opposa au torrent dévastateur des Cinq-Nations. Lui mort, toutes les issues furent ouvertes ; la destruction totale des fiers Algonquins et des puissants Hurons ne prit que deux années.

Presque en même temps que Piescaret était baptisé aux Trois-Rivières[1], un chef huron se faisait chrétien au Saut-Sainte-Marie. La conversion d’Eustache Ahatsistari avait eu un effet

  1. Par le père Buteux, le 30 janvier 1641. M. de Champflour fut son parrain.