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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

mauvais offices, quoique j’aie affecté de vivre avec lui avec beaucoup d’honnêteté, s’il eût demeuré plus longtemps ici, il aurait été capable d’insinuer à tout le monde un esprit de désobéissance. Dès que M. de Denonville fut arrivé il fit tout ce qu’il put pour le prévenir contre moi ; il commença par lui dire que je passais devant les gouverneurs particuliers[1] et qu’en France cela ne se faisait point. »

Si l’on veut juger de l’impression que la conduite et le caractère de M. de Varennes produisirent sur M. de Denonville, il suffit de lire l’extrait suivant d’une lettre qu’il adressa au ministre, cinq semaines après celle de M. de Meulles. Ce dernier, qui était un faiseur d’embarras, malgré des qualités réelles dont il savait au besoin se couvrir, dût éprouver quelque malaise en voyant que le gouverneur-général ne partageait pas son opinion au sujet de l’homme qui lui déplaisait si fort. Des rivalités de préséance paraissent avoir été la cause des agissements de M. de Meulles. Voici ce qu’écrivait M. de Denonville : « Le sieur de Varennes vous demande, Monseigneur, la continuation de son gouvernement des Trois-Rivières et vous supplie de lui faire renouveler sa commission, qui est finie, n’étant que pour trois ans[2]. C’est un très bon gentilhomme, qui n’a de vice que la pauvreté. Je vous assure qu’il a du mérite et de l’autorité. Il aurait bien besoin de quelque grâce du roi pour élever et soutenir sa famille. »

Colbert, le génie protecteur du Canada était mort. Louis XIV devenait presque indifférent à notre égard ; il se borna, si nous sommes bien renseigné à maintenir la commission de M. de Varennes et à ne pas inquiéter ce fonctionnaire au sujet de la traite qu’il faisait pour son compte particulier. La Hontan, de passage aux Trois-Rivières en 1684, écrivait : « Le roi y a établi un gouverneur qui mourrait de faim si au défaut de ses minces appointements, il ne faisait quelque commerce de castor avec les Sauvages. » Ainsi il devenait urgent, et il était convenable à un employé de violer la loi pour se payer de ce que le gouvernement lui devait ! M. de Varennes a laissé une famille sans fortune. On ne peut que l’accuser de n’avoir pas assez profité des privilèges qui lui étaient accordés en sous-main. Il était trop honnête pour prendre plus que le nécessaire.

Si le roi ne demeurait pas à Québec, il n’en était pas moins renseigné sur certains agissements, grâce au système établi de faire espionner les hauts fonctionnaires les uns par les autres. Ses lettres, toutes roides et sans détours, nous paraissent curieuses, comparées à celles des ministres d’aujourd’hui. Il écrivait (24 juillet 1684) à M. de la Barre : « Je suis bien aise de vous dire que, par tout ce qui me revient du Canada, la faute que vous avez faite de ne point exécuter ponctuellement mes ordres sur le sujet du nombre de vingt-cinq passeports à accorder à mes sujets et le grand nombre que vous en avez envoyé de tous côtés pour favoriser des gens qui vous appartiennent, me parait avoir été la principale cause de ce qui est arrivé de la part des Iroquois. J’espère que vous réparerez cette faute en donnant une fin prompte et glorieuse à cette guerre. » La fin de la campagne équivalut à

  1. Ceux de Montréal, des Trois-Rivières et de Gaspé.
  2. De 1634 à 1667, les gouverneurs des Trois-Rivières n’ont jamais été plus de cinq années consécutives en fonction. M. de Varennes garda ce poste vingt ou vingt-un-ans (1668-1689).