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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

littérature nationale. Ce sont des rapports sur l’état du pays, des relevés militaires, des récits d’expéditions lointaines, utiles aux historiens seulement. Nos ancêtres faisaient l’histoire où vont s’inspirer les écrivains de nos jours.

Les livres n’étaient pas rares dans notre pays sous les premiers gouverneurs anglais. On a constaté qu’il y avait soixante mille volumes dans les bibliothèques, ce qui correspond à un volume par âme. De nos jours, il serait curieux de voir si nous en avons autant, proportions gardées. Ces livres étaient venus de France avant 1760. Ils traitaient de philosophie, d’histoire et de littérature en général, mais on peut affirmer qu’il ne s’y rencontrait aucun ouvrage propre à nous éclairer sur le mode de gouvernement le plus praticable et le plus juste dans une colonie. Les instincts de ceux qui lisaient étaient donc à la littérature et point à la politique. Il aurait été impossible de tirer le moindre petit journaliste de notre population, mais nous formions des poètes. Ni l’enseignement ni la liberté du côté du pouvoir ne nous étaient donnés. Nous commencions seulement à tenter la vie publique, attendant les circonstances pour nous exercer. Aussi nos premiers journalistes furent-ils des Français d’importation directe, comme on le sait. Néanmoins, l’élément qui donne naissance au journalisme avait déjà parmi nous une sorte de consistance et se faisait sentir dans les affaires publiques. Nous voulons parler de la profession d’avocat, que l’on voit surgir dès 1766, date où il fut permis aux Canadiens, moyennant certaines restrictions, d’exercer devant les cours de justice. Avec des avocats sous la main, un peuple mal gouverné n’attend pas longtemps l’heure de l’agitation.

Un cercle littéraire se forma à Québec vers 1777, aussitôt après l’invasion, mais il n’est pas fait mention de journal de combat. Placé directement sous l’œil du gouvernement, le cercle n’avait qu’à bien se tenir pour n’être pas suspect, c’est-à-dire condamné. Il s’y composait sans doute des couplets frondeurs, méchants, qui mordaient en riant et auxquels la clandestinité ajoutait un titre nouveau. Rien ne nous en reste aujourd’hui. L’heure était propice aux faiseurs de refrains. Plus d’une épigramme circula sous le manteau, même après que Haldimand eut pris les rênes de l’administration, car, semblables aux Français, nos frères, la vengeance en rimes riches est pour nous un plaisir des dieux.

Tant pis tant mieux avait été étouffé en 1780. Pendant cinq ou six années, nous n’entendons plus parler de journaux ni de journaliste. En 1784, Ducalvet dit que la presse continue à être captive, elle va devenir clandestine ; nous ne savons si la chose eut lieu comme il le prédisait, mais il est certain que la Gazette de Québec régnait seule et tenait avec persistance son rang de gazette « la plus innocente de la domination britannique. » William Brown, son fondateur, mourut en 1789, au moment où M. John Neilson, qui devait l’illustrer, commençait à y publier des articles. Brown mourut sans avoir perfectionné le texte français de sa gazette, preuve que les Canadiens instruits n’y attachaient pas grande importance, car ils eussent pu inspirer aux propriétaires plus de respect pour cette partie de leur œuvre. La Gazette était publiée dans les deux langues par un esprit de calcul des propriétaires, qui comptaient l’introduire chez les Canadiens, et par un motif de prudence du gouvernement de