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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

par la tête sur les murs de mon cachot, d’où je ne recevais le jour que par une petite fenêtre grillée. Je charbonnai un jour deux pièces d’artillerie opposées l’une à l’autre avec deux boulets, sortant de leur bouche prêts à se heurter ; et j’écrivis au dessous la devise : La force contre la force. Le géolier en informa aussitôt les autorités, ce qui me procura le lendemain la visite de deux magistrats. Ces messieurs saisis d’horreur à la vue de ces insignes belliqueux se regardèrent en secouant la tête en silence, et finirent par me demander ce que signifiait cette menace. Quelle menace ? leur dis-je, il me semble pourtant qu’il ne faut pas être doué d’une profonde sagacité pour pénétrer le sens de ma devise ? Rien ne peut mieux peindre la force contre la force que deux canons et deux boulets se menaçant réciproquement. Mon barbouillage et ma devise ingénieuse, ajoutait M. Laforce, en riant, me valurent un surcroît de rigueur de la part de mes bourreaux ; on craignait sans doute que mon parc d’artillerie ne fit sauter la prison. »

En parcourant les récits qui vont de 1760 à 1820 nous sommes frappés du grand nombre de Canadiens-Français passés en Europe et qui servaient dans les armées de la France ou de l’Angleterre. Il y aurait un volume à écrire sur ce sujet. Citons pour mémoire les personnages suivants dont nous avons déjà parlé : Juchereau, Chaussegros de Léry, Saint-Ours, Fleury d’Eschambault, Vassal de Montviel, Salaberry, Duchesnay, Baby, Des Rivières, De Bonne, Vaudreuil, Martin, LeMoyne, Denys, Peloquin.

Melchior Hertel de Rouville, né en 1749, était entré dans l’armée anglaise et servait en Corse contre Paoli, vers 1770. Revenu en Canada, il devint juge, occupa pendant longtemps l’opinion publique, et mourut en 1817. L’un des fils du seigneur de Beaujeu, et frère du vainqueur de la Monongahéla, suivit La Pérouse dans la conquête des postes de la baie d’Hudson en 1782. Le marquis de Villeray, capitaine dans les gardes de corps du roi de France, était Canadien. De même aussi Juchereau-Duchesnay, lieut.-colonel d’artillerie, commandant de Charleville, tué dans le soulèvement populaire de 1792. La Corne, compagnon d’armes et ami de Suffen, se vit à la tête de navires de guerre français et porta avec éclat le nom de cette vieille famille canadienne. Les Vaudreuil furent gouverneurs des Antilles françaises. Alexandre Le Gardeur, comte de Tilly, commanda des vaisseaux de guerre sous le pavillon français. André de l’Échelle, né à Montréal le 2 décembre 1759, et dont le père périt, deux ans plus tard, dans le naufrage de l’Auguste, servit sous la république française et sous Napoléon i ; il était capitaine de vaisseaux lorsqu’il mourut en 1818. La même année et dans le même grade, mourut, à Brest, Michel Pélegrin, né à Québec en 1753. Philippe Martin, né parmi nous, en 1752, commanda à Toulon, lutta contre Nelson, contribua au retour de Napoléon après sa campagne d’Égypte, devint vice-amiral sous l’empire et mourut en 1810 au plus fort de ses succès.

Jean-Antoine Bedout,[1] conseiller au conseil supérieur de Québec, établi en cette ville avant 1747, major de milice en 1750, concessionnaire d’une seigneurie au lac Champlain en

  1. Marié à Françoise, fille de Claude-René Barolet, notaire, lequel avait épousé, à Québec, le 3 novembre 1716, Françoise, née le 17 octobre 1688, fille de François Dumontier, secrétaire du marquis de Vaudreuil en 1705.