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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

La concurrence commerciale anglaise, cauchemar continuel de ceux qui, de Paris ou de Québec, administraient le Canada, devenait plus dangereuse depuis que les espèces métalliques circulaient librement. La banque de Law étant tombée (1720) et avec elle la fortune de la France — si fortune il y avait — on se remit à gêner le Canada. Le régent avait composé à cinquante par cent avec nous, en 1717 ; la même année il achetait trois millions trois cent soixante et quinze livres un diamant qui devait porter son nom le Régent. De là à de nouvelles tracasseries il n’y avait pas loin. Un édit du mois de juin 1721 prescrivit la frappe de cent cinquante mille marcs de monnaie de cuivre destinée aux seules colonies et que l’on devait recevoir à un sixième dans les payements, comme en France. La compagnie des Indes envoya vingt mille francs de ces pièces, en 1722 ; un mémoire, du 5 mai 1723, soumis au conseil du roi, porte : « Les habitants ont fait difficulté d’en recevoir dans les payements et n’ont pu y être contraints parce que cet édit n’a point été enrégistré au conseil supérieur de Québec. Comme une somme de vingt mille livres en cette monnaie ne peut être à charge à cette colonie et que le conseil des Indes n’y en fera pas plus passer qu’on ne lui en demande, il demande qu’il soit expédié l’ordre nécessaire pour faciliter les cours des dites espèces en Canada. Il paraît qu’il convient d’expédier des lettres patentes pour ordonner l’enregistrement au conseil supérieur de Québec du dit édit, et de les envoyer par un mémoire du roi adressé à MM. de Vaudreuil et Bégon, et d’approuver par ce mémoire que le conseil supérieur de Québec règle qu’on ne peut recevoir qu’un sixième de cette monnaie dans les payements, suivant qu’il se pratique dans le royaume. » En marge est écrit : « Bon. » L’édit fut enregistré. Le 14 octobre 1723, Vaudreuil et Bégon représentaient au ministre qu’ils avaient donné toute la protection qui dépendait d’eux à Eustache Chartier de Lotbinière[1], directeur de la compagnie des Indes, pour faire accepter cette monnaie du public, mais, ajoutaient-ils, « il n’a pas été possible d’y parvenir parce qu’on n’est pas dans l’usage dans ce pays-ci de recevoir ni de faire des payements en monnaie de cuivre ; qu’elle a été trouvée incommode par son poids, beaucoup au-dessus de sa valeur intrinsèque, et parce qu’elle n’a point de cours hors de la colonie. Nous voyons sur cela tant d’opposition et si peu d’espérance de les surmonter, que nous croyons qu’il ne conviendrait pas de rien tenter au delà de ce que nous avons fait. » Une note de la même source renferme ces lignes : « Il y a entre les mains de l’agent de la compagnie à Québec, environ vingt mille livres de monnaies de cuivre (marquée : « colonies françaises » ) qu’il ne peut donner en payement du castor, faute de pouvoir fournir quatre-cinquièmes en espèces d’argent, ainsi qu’il a été réglé, comme il ne convient point à la compagnie d’envoyer les quatre-vingt mille livres qu’il faudrait en argent pour distribuer cette monnaie dans la colonie, on ne trouve point d’autre expédient pour en débarrasser la compagnie que de supplier Mgr le comte de Maurepas de

  1. René-Louis Chartier de Lotbinière, premier conseiller au conseil supérieur de Québec, depuis le 1er de juin 1703, avait été fait agent général de la compagnie des Indes, le 11 septembre 1705 ; sa nomination comme subdélégué de l’intendant est de 1677. Il paraît être mort dans ces charges. Son fils, Eustache, ci-dessus mentionné, avait épousé (3 avril 1711) M.-Françoise, fille de François-Marie Renaud d’Avesnes des Meloises, laquelle était morte au commencement de l’été de 1723. Il fut ordonné prêtre en 1726 et devint un personnage marquant dans le clergé.