Page:Sulte - Histoires des Canadiens-français, 1608-1880, tome VI, 1882.djvu/124

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
109
HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

ne lui ai rien touché encore du mariage, ni ne le ferai que je n’aie vu votre volonté à ce sujet. Je n’ai jamais eu de père[1] ; c’est vous qui m’en avez servi ; je pense que vous voudrez bien me continuer vos bontés à l’égard des douze mille livres que vous avez eu la bonté de retirer de la vente de Près-de-Ville, et la maison de la ville, et nous vous supplions, Châteauguay et moi, de nous les faire tenir en France… Sainte-Hélène part pour la Havane pour nous chercher du blé d’Inde pour la garnison qui est réduite à courir les bois. Je compte que cette compagnie de ce pays ne tiendra pas et qu’elle abandonnera. Quelque bonne espérance que M. de la Mothe donne à MM. de Croisart et Le Barre, (il faut lire Lebas, contrôleur) qui sont les intéressés, leur seul but est de faire un gros commerce avec les Espagnols ; mais ils ne feront rien certainement ; les Espagnols sont avertis : ils tiennent la main à tout, fouillent jusque dans la doublure du bâtiment qu’on envoie chez eux y chercher des vivres. Tout présentement, il arrive un vaisseau de la Vera-Cruz qu’ils (Crozat et compagnie) y avaient envoyé sous le prétexte de demander du secours ; il a été renvoyé à la vue de terre sans les écouter… Châteauguay vous écrit fort au long. Il vous touchera sans doute des peines que M. de la Motte lui fait. Il s’est emparé de sa maison malgré lui, quelque résistance qu’il eût pu faire, étant une grande maison neuve à deux étages, propre à loger toute la famille qui est nombreuse. Comme je compte passer en France l’année prochaine, je vous supplie, et ma très chère sœur, de me recommander à vos patrons… Je crois le ministre tout-à-fait revenu de la prévention qu’il avait contre moi. Le prêtre-curé, mon ennemi, a été rappelé. Il est venu un autre à sa place, qui mange souvent de ma soupe. Le ministre me donne beaucoup d’eau bénite de cour dans les dernières lettres qu’il m’écrit, me promettant que la première occasion je pourrais être avancé ; je me flatterais presque si cette compagnie (Crozat) manque, que M. de la Motte pourra être rappelé et moi rester encore commandant ; ce n’est qu’un cas que cela arrive que je vous demande votre consentement pour me marier avec Mlle. de la Motte, car sans cela je ne verrais pas jour à pouvoir nourrir une femme, ni me nourrir moi-même, car notre gouverneur est très mesquin. Il ne nous a pas offert un verre d’eau depuis cinq mois qu’il est ici. Les officiers sont toujours chez moi. »

L’année suivante (1714) Lamothe-Cadillac décrivait la situation dans ces termes : « La colonie ne peut pas être plus pauvre qu’elle ne l’est actuellement. Les Canadiens qui y sont, ne pouvant vivre, s’en retournent au Canada, et cependant sans eux on ne peut faire aucune entreprise. Il en faudrait une cinquantaine aux gages du roi, pour faire des découvertes… L’établissement du Conseil n’a pu se faire jusqu’à présent faute de sujets. M. le commissaire m’en a proposé deux, qui sont les sieurs Lafrenière et Deslauriers chirurgien-major. Le premier a appris à signer son nom depuis quatre mois, et le second étant chirurgien, il y a incompatibilité. » Il demande ensuite la construction d’une église et ajoute : « Je crois que les habitants seraient ravis de n’en avoir point. Au dire de messieurs les prêtres et missionnaires, la plus grande partie n’ont point approché des sacrements depuis sept ou huit

  1. Charles Le Moyne, premier seigneur de Longueuil, son père, a dû mourir vers 1685.