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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

bois, potasse, goudron, térébenthine, blé, lin, douves, chanvre, perlasse, farine et provisions de toutes sortes. En réalité les Canadiens exportèrent à cette époque plus de marchandises qu’ils n’en produisaient : c’était la contrebande américaine qui fournissait la balance de certains articles. Il se fit des fortunes rapides dont le souvenir s’est conservé sous le nom de bonnes années. Le prix des objets de première nécessité était alors le triple de ce qu’il avait été au lendemain de la conquête, mais l’argent abondait et les gages s’élevaient en proportion, Craig était venu avec beaucoup d’argent qu’il employa aux travaux publics, surtout aux fortifications. Peu ou point des sommes acquises par les habitants, à la faveur de cette situation avantageuse, n’entrèrent dans le commerce de banque. Les Canadiens de 1808 ne prêtaient pas encore d’argent à intérêt. Si l’un d’eux avait besoin d’aide, son parent ou son ami lui passait, de la main à la main, sans contrat et sans témoin, la somme demandée et tout était dit ; le remboursement se faisait de même ; la femme était généralement dans le secret de la transaction. Le clergé réprouvait toute tentative d’usure, ce qui était bien d’accord avec les mœurs patriarcales de ces heureuses gens. Guinées, louis d’or, pistoles, doublons, jaunes de Portugal, piastres espagnoles, aigles américains, couronnes anglaises, pistarines, entraient journellement dans le traditionnel bas de laine, pour en sortir tous ensemble et payer l’achat d’une nouvelle terre. C’est de 1793 à 1810 que les habitants ont le plus agrandi le domaine de leurs cultures. Il n’était pas rare de voir un père de famille déposer devant le notaire un amas de pièces métalliques portant la frappe de dix nations différentes et disparues de la circulation depuis de longues années. Les banques n’existaient pas encore dans le pays. On voyait des marchands anglais emprunter sur hypothèque de fortes sommes pour activer leur commerce et les garder longtemps sans payer d’intérêt ; un petit présent à la fin, contentait tout le monde. Le commerce était presque uniquement entre les mains des Anglais, ayant peu de capitaux mais un grand crédit. Les banqueroutes survenaient assez souvent parmi eux. Lambert affirme que, 1760 à 1808, à peine cinq par cent de ces trafiquants ont payé leurs dettes — le reste était dû à Pierre et à Jacques. Le commerce de détail se faisait surtout à l’encan, les jours de marché. Tout cultivateur pouvait à son gré se charger de marchandises et ouvrir un compte chez l’encanteur. On devine le résultat de cette coutume. Les crédits étaient à de très longs termes ; il n’existait pas de loi de banqueroute. L’arrestation pour dette dont on tant parlé, n’avait lieu que si l’on soupçonnait le débiteur de vouloir laisser la province ou de se dessaisir de ses propriétés.

M. Anderson, qui publia vers 1814, un volume intitulé : Views of Canada, fait à nos compatriotes une part agréable de ses souvenirs : « Les Canadiens-Français, dit-il, sont honnêtes et droits à un degré rare chez un peuple privé d’instruction ; cela ne se voit peut-être pas ailleurs dans la même mesure. Ils sont sociables et polis, et pour ce qui est de leur comportement ils agissent selon la raison et le bon sens ; je puis dire aussi qu’ils sont ingénieux et industrieux. »

C’est vers cette époque que le bois de l’Ottawa commença à descendre à Québec et que se forma la classe intéressante de nos « hommes de chantier » — bûcherons, forestiers, flotteurs et « mangeurs de lard » incomparables. Les forêts de la Baltique étaient fermées à la