Page:Sénèque - Oeuvres complètes, trad Charpentier, Tome III, 1860.djvu/275

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tu as cent ans ou plus sur la tête ; hé bien, calcule l’emploi de ton temps ; dis-nous combien t’en ont enlevé un créancier, une maîtresse, un accusé, un client ; combien tes querelles avec ta femme, la correction de tes esclaves, tes démarches officieuses dans la ville. Ajoute les maladies que nos excès ont faites ; ajoute le temps qui s’est perdu dans l’inaction, et tu verras que tu as beaucoup moins d’années que tu n’en comptes.

(3) Rappelle-toi combien de fois tu as persisté dans un projet ; combien de jours ont eu l’emploi que tu leur destinais ; quels avantages tu as retirés de toi-même ; quand ton visage a été calme et ton cœur intrépide ; quels travaux utiles ont rempli une si longue suite d’années ; combien d’hommes ont mis ta vie au pillage, sans que tu sentisses le prix de ce que tu perdais ; combien de temps t’ont dérobé des chagrins sans objet, des joies insensées, l’âpre convoitise, les charmes de la conversation : vois alors combien peu il t’est resté de ce temps qui t’appartenait, et tu reconnaîtras que ta mort est prématurée. »

(4) Quelle en est donc la cause ? Mortels, vous vivez comme si vous deviez toujours vivre. Il ne vous souvient jamais de la fragilité de votre existence ; vous ne remarquez pas combien de temps a déjà passé ; et vous le perdez comme s’il coulait d’une source intarissable, tandis que ce jour, que vous donnez à un tiers ou à quelque affaire, est peut-être le dernier de vos jours. Vos craintes sont de mortels ; à vos désirs on vous dirait immortels.

(5) La plupart des hommes disent : À cinquante ans, j’irai vivre dans la retraite ; à soixante ans, je renoncerai aux emplois. Et qui vous a donné caution d’une vie plus longue ?