Page:Sénèque - Oeuvres complètes, trad Charpentier, Tome III, 1860.djvu/358

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en les saisissant l'un après l'autre: ce que nous avons cherché, nous l'abandonnons ; ce que nous avons abandonné, nous le cherchons de nouveau : chez nous, se succèdent alternativement les désirs et le repentir. Nous dépendons, en effet, tout entiers des jugements d'autrui, et ce qui nous semble être le meilleur, c'est ce qui est recherché, ce qui est vanté par beaucoup de personnes, non pas ce qu'il faut vanter et rechercher. A nos yeux, une route est bonne ou mauvaise, non par elle-même, mais d'après la multitude des traces, parmi lesquelles il n'en est aucune de gens qui reviennent.

Vous me direz : «Que fais-tu, Sénèque ? tu désertes ton parti. Assurément, les stoïciens de votre école disent: Jusqu'au dernier terme de la vie, nous serons en action, nous ne cesserons de travailler au bien public, d'assister chacun en particulier, de porter secours, même à nos ennemis, d'une main obligeante. C'est nous, qui pour aucun âge ne donnons d'exemption de service, et qui, suivant l'expression de ce guerrier si disert, « pressons nos cheveux blancs sous le casque. » C'est pour nous, que, loin qu'il y ait rien d'oisif avant la mort, bien au contraire, si la chose le comporte, la mort elle-même n'est pas oisive. Que viens-tu nous parler des commandements d'Épicure, dans le camp même de Zénon ? Que n'as-tu le courage, si tu renonces à ton parti, de te faire transfuge, plutôt que traître? » Voici, pour le moment, ce que je vous répondrai: Est-ce que vous me demandez quelque chose de plus, que de me rendre semblable à mes chefs? Eh bien ! ce sera, non pas où ils m'auront envoyé, mais où ils m'auront conduit, que j'irai.