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LES MŒURS ET LES CARACTÈRES

exprès pour le plaisir des yeux, comme une scène d’opéra. Mais comment nous figurer aujourd’hui des gens pour qui la vie était un opéra ? En ce temps-là, il faut à un grand un grand état de maison ; son cortège et son décor font partie de sa personne ; il se manque à lui-même s’il ne les a pas aussi amples et aussi beaux qu’il le peut ; il serait choqué d’un vide dans sa maison comme nous d’un trou dans notre habit. S’il se retranche, il déchoit ; quand Louis XVI fait des réformes, la cour dit qu’il agit en bourgeois. Dès qu’un prince ou une princesse est d’âge, on lui forme une maison ; dès qu’un prince se marie, on forme une maison à sa femme ; et par maison entendez une représentation à quinze ou vingt services distincts, écurie, vénerie, chapelle, faculté, chambre, garde-robe, chambre aux deniers, bouche, paneterie-bouche, cuisine-bouche, échansonnerie, fruiterie, fourrerie, cuisine-commun, cabinet, conseil[1] ; elle ne se sent point princesse sans cela. Il y a 274 charges chez le duc d’Orléans, 210 chez Mesdames, 68 chez Madame Élisabeth, 239 chez la comtesse d’Artois, 256 chez la comtesse de Provence, 496 chez la reine. Lorsqu’il s’agit de former une maison à Madame Royale, âgée d’un mois, « la reine, écrit l’ambassadeur d’Autriche, veut supprimer une mollesse nuisible, une affluence inutile de gens de service, et tout usage

  1. Pour tous les détails suivants, cf. Waroquier, t. I, passim. — Archives nationales, O1,710 bis. Maison du roi, dépenses de 1771. — Marquis d’Argenson, 25 février 1752. — En 1771, on dépense 3 millions pour l’installation de la comtesse d’Artois. Un simple appartement pour Madame Adélaïde coûte 800 000 livres.