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LES MŒURS ET LES CARACTÈRES


qu’il faudrait voir avec les yeux de la tête, pages[1], piqueurs, élèves galonnés, élèves à boutons d’argent, garçons de la petite livrée en soie, joueurs d’instruments, chevaucheurs de l’écurie. C’est un art féodal que l’emploi du cheval ; il n’y a pas de luxe plus naturel à un homme de qualité ; pensez aux écuries de Chantilly, qui sont des palais. Pour dire un homme bien élevé et distingué, on disait alors « un cavalier accompli » ; en effet, il n’avait toute sa prestance qu’en selle et sur un cheval de race comme lui. — Autre goût de gentilhomme, qui est une suite du précédent : la chasse. Elle coûte au roi de 1 100 000 à 1 200 000 livres par an[2] et occupe 280 chevaux, outre ceux des deux écuries. On ne saurait imaginer un équipage plus varié ni plus complet : meute pour le sanglier, meute pour le loup, meute pour le chevreuil, vol pour corneille, vol pour pie, vol pour émerillon, vol pour lièvre, vol pour les champs. On dépense, en 1783, 179 194 livres pour la nourriture des chevaux et 53 412 livres pour celle des chiens. Tout le territoire, à dix lieues de Paris, est chasse gardée ; « on n’y saurait tirer un coup de fusil[3] ; aussi voyez-vous dans toutes

  1. « À mon arrivée à Versailles (1786) on y comptait 150 pages, sans compter ceux des princes du sang qui résidaient à Paris. Un seul habit de page de la chambre coûtait 1500 livres (velours cramoisi brodé d’or sur toutes les tailles, chapeau garni d’un plumet et d’un large point d’Espagne). » (Comte d’Hézecques, ib., 112).
  2. Archives nationales, O1, 778. Mémoire sur la vénerie de 1760 à 1792 et notamment rapport de 1786.
  3. Mercier, Tableau de Paris, I, 11 ; V, 62. — Comte d’Hézecques, ib., 253. — Journal de Louis XVI, publié par Nicolardot, passim.