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L’ANCIEN RÉGIME


une liste civile de plus de 100 000 écus, un régiment de hulans pour sa garde, un théâtre qui a coûté plus de 600 000 livres, et la vie qu’il mène ou qu’on mène autour de lui ressemble à une bacchanale de Rubens. — Quant aux gouverneurs généraux ou particuliers en province, on a vu que, lorsqu’ils y résident, ils n’ont d’autre emploi que de recevoir ; à côté d’eux, l’intendant qui fait seul les affaires, reçoit aussi et magnifiquement, surtout dans les pays d’États. Commandants, lieutenants généraux, partout les envoyés du centre sont conduits de même, par les mœurs, par les convenances et par leur propre désœuvrement, à tenir salon ; ils apportent avec eux les élégances et l’hospitalité de Versailles. Si leur femme les a suivis, elle s’ennuie et « végète au milieu de cinquante personnes, ne disant que des lieux communs, faisant des nœuds ou jouant au loto, et passant trois heures à table ». Mais « tous les militaires, tous les gentilshommes des environs, toutes les dames de la ville », s’empressent à ses bals et célèbrent à l’envi sa grâce, sa politesse, son égalité[1] ». Jusque dans les grades secondaires, on retrouve ces habitudes somptueuses. En vertu de l’usage établi, les colonels et même les capitaines traitent leurs officiers et dépensent ainsi beaucoup au delà de leurs appointements[2] ». C’est

  1. Mme de Genlis, Adèle et Théodore, III, 54.
  2. Duc de Lévis, 68. De même, avant la dernière réforme, les grades dans l’armée anglaise. — Cf. Voltaire, Entretiens entre A, B, C, 15e Entretien, « Un régiment n’est point le prix des services, c’est le prix de la somme que les parents d’un jeune homme ont déposée pour qu’il aille, trois mois de l’année, tenir table ouverte dans une ville de province. »