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LE RÉGIME MODERNE


telle date ; ses versements sont facultatifs : ni la date ni la somme ne lui sont prescrites ; il ne paye qu’en achetant et à proportion de ce qu’il achète, c’est-à-dire quand il veut et aussi peu qu’il veut. Il est libre de choisir son moment, d’attendre que sa bourse soit moins plate ; rien ne l’empêche de réfléchir avant d’entrer chez le débitant, de compter dans sa poche ses gros sous et ses pièces blanches, de préférer d’autres dépenses plus urgentes, de restreindre sa consommation. S’il ne va pas au cabaret, sa quote-part, dans les centaines de millions que produit l’impôt sur les boissons, est presque nulle ; s’il s’abstient de fumer et de priser, sa quote-part, dans les centaines de millions que produit l’impôt sur le tabac, est nulle : par cela seul qu’il est économe, prévoyant, bon père de famille et capable de se priver pour les siens, il échappe aux ciseaux du fisc. D’ailleurs, quand il s’y livre, il n’est guère tondu qu’à fleur de peau ; tant que la douane et le monopole ne prélèvent rien sur les objets qui lui sont physiquement indispensables, comme le pain en France, l’impôt indirect n’entame pas sa chair ; à l’ordinaire, les droits fiscaux ou protecteurs, notamment les droits qui renchérissent le tabac, le café, le sucre et les boissons, rognent, non sur sa vie, mais sur les agréments et les douceurs de sa vie. — Et, d’autre part, dans la perception de ces droits, le fisc peut cacher sa main ; s’il entend son métier, son opération antérieure et partielle disparaît sous l’opération totale qui l’achève et la recouvre ; il se dissimule derrière le marchand. L’acheteur