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OBJET ET MÉRITES DU SYSTÈME


qui vient se faire tondre ne voit pas les ciseaux ; du moins il n’en a pas la sensation distincte ; or, chez l’homme du peuple, chez le mouton ordinaire, c’est la sensation directe, actuelle, animale, qui provoque les cris, les soubresauts convulsifs, les coups de tête, l’effarement et l’affolement contagieux. Quand on lui épargne cette sensation dangereuse, il se laisse faire ; tout au plus, il murmure contre la dureté des temps ; il n’impute pas au gouvernement la cherté dont il pâtit : il ne sait pas calculer, décompter, considérer à part le surcroît de prix que lui extorque le droit fiscal. Aujourd’hui encore, vous auriez beau lui dire que, sur les quarante sous que lui coûte une livre de café, l’État prend quinze sous, que, sur les deux sous que lui coûte une livre de sel, l’État prend cinq centimes, ce n’est là pour lui qu’une idée nue, un chiffre en l’air ; son impression serait tout autre si, à côté de l’épicier qui lui pèse son sel et son café, il voyait de ses yeux l’employé des douanes et des salines, présent, en fonctions, ramasser sur le comptoir les cinq centimes et les quinze sous.

Tels sont les bons impôts indirects : pour qu’ils soient bons, c’est-à-dire tolérables et tolérés, on voit que trois conditions sont requises. Il faut d’abord, dans l’intérêt du contribuable, que le contribuable soit libre d’acheter ou de ne pas acheter la marchandise grevée. Il faut ensuite, dans l’intérêt du contribuable et du fisc, que cette marchandise ne soit point grevée jusqu’à devenir trop chère. Il faut enfin, dans l’intérêt du fisc, que son