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LE PEUPLE


« là… La quantité des pauvres surpasse celle des gens qui peuvent vivre sans mendier… et les recouvrements se font avec une rigueur sans exemple ; on enlève les habits des pauvres, leurs derniers boisseaux de froment, les loquets des portes, etc… L’abbesse de Jouarre m’a dit hier que, dans son canton, en Brie, on n’avait pas pu ensemencer la plupart des terres. » — Rien d’étonnant si la famine gagne jusqu’à Paris. « On craint pour mercredi prochain… Il n’y a plus de pain à Paris, sinon des farines gâtées, qui arrivent et qui brûlent (au four). On travaille jour et nuit à Belleville, aux moulins, à remoudre les vieilles farines gâtées. Le peuple est tout prêt à la révolte ; le pain augmente d’un sol par jour ; aucun marchand n’ose ni ne veut apporter ici son blé. La Halle, mercredi, étant presque révoltée, le pain y manqua dès sept heures du matin… On avait retranché les vivres aux pauvres gens qui sont à Bicêtre, au point que, de trois quarterons de mauvais pain, on n’a plus voulu leur donner que demi-livre. Tout s’est révolté et a forcé les gardes ; quantité se sont échappés et vont inonder Paris. On y a appelé tout le guet et la maréchaussée des environs, qui ont été en bataille contre ces pauvres misérables, à grands coups de fusil, baïonnette et sabre. On compte qu’il y en a quarante ou cinquante sur le carreau ; la révolte n’était pas encore finie hier matin. »

Dix ans plus tard, le mal est pire[1]. « De ma cam-

  1. Marquis d’Argenson, 4 octobre 1749, 20 mai, 12 septembre,