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L’ANCIEN RÉGIME


« hauts sabots, s’élevant encore pour regarder le combat, trépignant avec progression, se frottant les flancs avec les coudes, la figure hâve et couverte de longs cheveux gras, le haut du visage pâlissant et le bas se déchirant pour ébaucher un rire cruel et une sorte d’impatience féroce. — Et ces gens-là payent la taille ! et l’on veut encore leur ôter le sel ! Et l’on ne sait pas ce qu’on dépouille, ce qu’on croit gouverner, ce qu’à coups d’une plume nonchalante et lâche on croira, jusqu’à la catastrophe, affamer toujours impunément ! Pauvre Jean-Jacques, me disais-je, qui t’enverrait, toi et ton système, copier de la musique chez ces gens-là aurait bien durement répondu à ton discours. » Avertissement prophétique, prévoyance admirable que l’excès du mal n’aveugle point sur le mal du remède. Éclairé par son instinct féodal et rural, le vieux gentilhomme juge du même coup le gouvernement et les philosophes, l’Ancien Régime et la Révolution.

IV

Quand l’homme est misérable, il s’aigrit ; mais quand il est à la fois propriétaire et misérable, il s’aigrit davantage. Il a pu se résigner à l’indigence, il ne se résigne pas à la spoliation ; et telle était la situation du paysan en 1789 ; car, pendant tout le dix-huitième siècle, il avait acquis de la terre. — Comment avait-il fait, dans une telle détresse ? La chose est à peine croyable, quoique certaine ; on ne peut l’expliquer que par le caractère du