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LA PREMIÈRE ÉTAPE DE LA CONQUÊTE


Jacobins extrêmes, Couthon, Collot d’Herbois, Danton, Robespierre, ne sont point avec eux ; Robespierre, qui d’abord a proposé d’enfermer l’Empereur « dans le cercle de Popilius[1] », craint de livrer au roi de trop grands pouvoirs, se défie et prêche la défiance. — Mais la grosse masse du parti, l’opinion bruyante, suit et pousse les téméraires qui marchent en avant. De tant de choses qu’il faudrait savoir pour conduire avec compétence une affaire si compliquée et si délicate, ils n’en connaissent aucune, ni les cabinets, ni les cours, ni les peuples, ni les traités, ni les précédents, ni les formes salutaires, ni le style obligé. Pour guide et conseil aux relations étrangères, faute de mieux, ils ont Brissot, qui fonde sa primauté sur leur ignorance et qui, érigé en homme d’État, devient, pendant plusieurs mois, le personnage le plus en vue de l’Europe[2]. Autant que l’on peut attribuer à un seul homme une calamité européenne, on doit lui imputer celle-ci. C’est ce malheureux, né dans une boutique de pâtissier, élevé dans un bureau de procureur, ancien agent de police à 150 francs par mois, ancien associé des marchands de diffamation et des entrepreneurs de chantage[3], aventurier de plume, brouillon

    Brissot. — La Fayette, I, 441 : « Ce sont les Girondins qui, à cette époque, voulaient la guerre à tout prix. » — Malouet, II, 209 : « Ainsi que Brissot s’en est vanté depuis, c’est le parti républicain qui voulait la guerre, et la provoquait par des insultes à toutes les puissances. »

  1. Buchez et Roux, XII, 402, séance des Jacobins, 27 novembre 1791.
  2. Mot du roi de Suède, Gustave III, assassiné par Ackerstroëm : « Je voudrais bien savoir ce que va dire Brissot. »
  3. Sur le passé de Brissot, cf. Edmond Biré, la Légende des