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LA RÉVOLUTION


et touche-à-tout, qui, avec ses demi-renseignements de nomade, ses quarts d’idée de gazetier, son érudition de cabinet littéraire[1], son barbouillage de mauvais écrivain, ses déclamations de clubiste, décide des destinées de la France et déchaîne sur l’Europe une guerre qui détruira six millions de vies. Du fond du galetas où sa femme blanchit ses chemises, il est bien aise de gourmander les potentats, et, pour commencer, le 20 octobre, il insulte trente souverains étrangers à la tribune[2]. Jouissance exquise et intime, qui est l’aliment quotidien du nouveau fanatisme, et que Mme Roland elle-même savoure avec une complaisance visible dans les deux célèbres lettres où, d’un ton rogue, elle fait la leçon d’abord

    Girondins. Personnellement Brissot était probe et resta pauvre. Mais il avait traversé bien des bourbiers et en avait rapporté bien des éclaboussures. Il avait prêté les mains à la propagation d’un livre obscène, le Diable dans un bénitier ; et, en 1783, ayant reçu 13 355 francs pour fonder un lycée à Londres, il n’avait pas fondé le lycée et n’avait pu rendre l’argent.

  1. Moniteur, XI, 147. Discours de Brissot, 17 janvier. Exemples dont il s’autorise, Charles XII, Louis XIV, l’amiral Blake, Frédéric II, etc.
  2. Ib., X, 174 : « Ce gouvernement de Venise, qui n’est qu’une comédie… Ces petits princes d’Allemagne dont l’insolence dans le siècle dernier fut foudroyée par le despotisme… Genève, cet atome de république… Cet évêque de Liège qui appesantit son joug sur un peuple qui devrait être libre… Je dédaigne de parler des autres princes… Ce roi de Suède qui n’a que 25 millions de revenu et qui en dépense les deux tiers pour payer mal une armée nombreuse de généraux et un petit nombre de soldats mécontents… Quant à cette princesse (Catherine II) dont l’aversion pour la Constitution française est connue et qui ressemble par quelque beauté à Élisabeth, elle ne doit pas attendre plus de succès qu’Élisabeth dans la révolution de Hollande. » (Dans cette dernière phrase, Brissot fait effort pour être à la fois léger et érudit.)