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LA PREMIÈRE ÉTAPE DE LA CONQUÊTE


force : on les appelle des Mandrins ; mais le mot est dur pour Mandrin, car ils font la guerre, non seulement comme lui aux personnes et aux propriétés publiques, mais encore aux biens, à la pudeur et à la vie des particuliers. Un seul détachement, en une seule fois, extorque à Cavaillon 25 000 livres, à Baumes 12 000, à Aubignan 15 000, à Piolenc 4800, et taxe Caumont à 2000 livres par semaine. À Sarrians, dont le maire leur offrait les clés, ils ont pillé les maisons de fond en comble, emmené trente-trois chariots chargés de butin, mis le feu, violé et tué avec des raffinements de Hurons : une dame de quatre-vingts ans, paralytique, a été fusillée à bout portant, et abandonnée dans son sang au milieu des flammes ; un enfant de cinq ans a été tranché en deux, sa mère décapitée, sa sœur mutilée ; on a coupé les oreilles du curé, on les lui a attachées sur le front en guise de cocarde, puis on l’a égorgé en même temps qu’un porc, on a arraché les deux cœurs et on a dansé dessus[1]. Ensuite, pendant cinquante jours, autour de

  1. Cf. André, passim, et Soulier, passim. — Mercure de France, no du 4 juin 1791. — Archives nationales, F7, 3197. Lettre de Mme de Gabriellis, 14 mars 1791. (Pillage de sa maison à Cavaillon, 10 janvier ; elle s’est sauvée par les toits avec sa femme de chambre.) — Lettre des officiers municipaux de Tarascon, 22 mai : « La troupe qui est entrée dans le district pille tout ce qu’elle trouve sur son chemin. » — Lettre du procureur-syndic d’Orange, 22 mai : « Mercredi dernier, une fille âgée de dix ans, allant de Châteauneuf à Courthezon, a été violée par l’un d’eux ; la pauvre enfant est à toute extrémité. » — Lettre des trois commissaires au ministre, 21 mai : « Il est aujourd’hui bien constaté par tous les hommes de bonne foi que les prétendus patriotes, qu’on disait avoir acquis tant de gloire à Sarrians,