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LA RÉVOLUTION


traire et quoi qu’elle fasse, chez le très grand nombre, la probité et l’humanité restent toujours de puissants mobiles. Nés presque tous dans la bourgeoisie moyenne, presque tous nos législateurs, quelle que soit l’effervescence momentanée de leur cervelle, sont au fond ce qu’ils ont été jusqu’ici, des avocats, procureurs, négociants, prêtres ou médecins de l’ancien régime, et ce qu’ils seront plus tard, des administrés dociles ou des fonctionnaires zélés de l’Empire[1], c’est-à-dire des hommes civilisés de l’espèce ordinaire, des bourgeois du dix-huitième et du dix-neuvième siècle, assez honnêtes dans la vie privée pour avoir envie de l’être aussi dans la vie publique. — C’est pourquoi ils ont horreur de l’anarchie, de Marat[2], des égorgeurs et des voleurs de septembre. Trois jours après leur réunion, « presque à l’unanimité », ils votent la préparation d’une loi « con-

  1. Dictionnaire biographique, par Eymery, 1807 (4 volumes). On peut y relever la situation des conventionnels qui ont survécu à la révolution. La plupart sont juges au civil ou au criminel, préfets, commissaires de police, chefs de bureau, employés des postes ou de l’enregistrement, receveurs des finances, inspecteurs aux revues, etc. — Parmi les conventionnels ainsi placés, voici la proportion des régicides : sur 23 préfets, 21 ont voté la mort ; sur 43 magistrats, 42 ont voté la mort ; le 43e était malade à l’époque du jugement ; des 5 sénateurs, 4 ont voté la mort ; sur 16 députés, 14 ont voté la mort : sur 36 autres fonctionnaires de diverses espèces, 35 ont voté la mort. Parmi les autres régicides, on trouve encore 2 conseillers d’État, 4 diplomates et consuls, 2 généraux, 2 receveurs généraux, un commissaire général de police, un colonel de gendarmerie, un ministre du roi Joseph, le ministre de la police et l’archichancelier de l’Empire.
  2. Buchez et Roux, XIX, 97, séance du 25 septembre 1792. Marat : « J’ai, dans cette Assemblée, un grand nombre d’ennemis personnels. ». — « Tous, tous ! » s’écrie l’Assemblée en se levant avec indignation. » — Ib., XIX, 9, 49, 63, 338.