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LA RÉVOLUTION


primitif, intact et sain d’esprit, d’âme et de corps. — En cet état, il est exempt de préjugés, il n’a pas été circonvenu de mensonges, il n’est ni juif, ni protestant, ni catholique ; s’il essaye de concevoir l’ensemble de l’univers et le principe des choses, il ne se laissera pas duper par une révélation prétendue, il n’écoutera que sa raison : il se peut que parfois il devienne athée, mais presque toujours il se trouvera déiste. — En cet état, il n’est engagé dans aucune hiérarchie, il n’est point noble ni roturier, ouvrier ni patron, propriétaire ni prolétaire, inférieur ni supérieur. Indépendants les uns les autres, tous sont égaux, et, s’ils conviennent de s’associer entre eux, leur bons sens stipulera comme premier article le maintien de l’égalité primordiale. — Voilà l’homme que la nature a fait, que l’histoire a défait et que la Révolution doit refaire[1]. Sur les deux enveloppes de bandelettes qui le tiennent entortillé, sur la religion positive qui comprime et fausse son intelligence, sur l’inégalité sociale qui fausse et mutile sa volonté, on ne peut frapper trop fort[2] ; car, à chaque coup que l’on porte, on brise une ligature,

  1. Buchez et Roux, XXXII, 353 (Rapport de Robespierre à la Convention, 7 mai 1794). « La nature nous dit que l’homme est né pour la liberté, et l’expérience des siècles nous montre l’homme esclave. Ses droits sont écrits dans son cœur et son humiliation dans l’histoire. »
  2. Ib., 372. « Les prêtres sont à la morale ce que les charlatans sont à la médecine. Combien le Dieu de la nature est différent du Dieu des prêtres ! Je ne connais rien de semblable à l’athéisme comme les religions qu’ils ont faites. » — Déjà dans la Constituante il voulait que l’on défendît au père d’avantager un enfant. « Vous n’avez rien fait pour la liberté, si vos lois ne tendent à diminuer, par des moyens efficaces et doux, l’inégalité des fortunes. » (Hamel, I, 403.)