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LA RÉVOLUTION


mer les brutes, les coquins et les fous ; à l’exemple de Louis XVI, ils se considéraient comme les pasteurs du peuple, et se laissaient fouler aux pieds plutôt que de tirer sur leur troupeau. — Au fond, le cœur était noble, même généreux et grand. Dans les assemblées de bailliage, en mars 1789, bien avant la nuit du 4 août, ils ont spontanément renoncé à tous leurs privilèges pécuniaires, et, sous les plus dures épreuves, leur courage, embelli par le savoir-vivre, introduit l’élégance, le tact, la gaieté jusque dans leur héroïsme. Les plus gâtés, un duc d’Orléans, les plus légers et les plus blasés, un duc de Biron, meurent avec des dédains et un sang-froid de stoïques[1]. Des femmes délicates, qui se plaignaient d’un

  1. Mallet du Pan. Mémoires, II, 493 : « Le duc d’Orléans lisait un journal pendant qu’on l’interrogeait. » — Ib., 497 : « Personne n’est mort avec plus de fermeté, de grandeur d’âme et de fierté que le duc d’Orléans ; il redevint prince du sang. Lorsqu’on lui demanda au Tribunal révolutionnaire s’il n’avait rien à dire pour sa défense, il répondit : « Mourir aujourd’hui plutôt que demain : délibérez là-dessus. » — « Cela lui fut accordé. » — Le duc de Biron refusa de s’évader, trouvant que, dans une pareille bagarre, ce n’était pas la peine, « Il passait sa vie au lit, à boire du vin de Bordeaux… Lorsqu’il fut devant le Tribunal révolutionnaire, on lui demanda son nom, et il répondit : Chou, navet, Biron comme vous voudrez, tout cela est fort égal. » — « Comment ! dirent les juges, vous êtes un insolent ! » — Et vous, des verbiageurs. Allez au fait : guillotiné, voilà tout ce que vous avez à dire, et moi, je n’ai rien à répondre. » — Cependant ils se mirent à l’interroger sur ses prétendues trahisons dans la Vendée, etc. — « Vous ne savez ce que vous dites, vous êtes des ignorants, qui n’entendez rien à la guerre ; finissez vos questions. J’ai remis le compte de ma conduite au Comité de Salut public, qui l’approuva dans le temps ; aujourd’hui, il a changé, et vous a ordonné de me faire périr : obéissez et ne perdons pas de temps. » — « Biron de-