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LES GOUVERNÉS


reste de la nation, formaient elles-mêmes une élite. — Trente mille gentilshommes, dispersés dans les provinces, étaient élevés dès l’enfance pour le métier des armes ; pauvres le plus souvent, ils vivaient dans leur manoir rural sans luxe, ni commodités, ni curiosités, en compagnie de forestiers et de gardes-chasse, frugalement, rustiquement, en plein air, de façon à se faire un corps robuste. À l’âge de six ans, on mettait l’enfant sur un cheval ; il suivait la chasse, s’endurcissait aux intempéries[1] ; ensuite, aux académies, il assouplissait ses membres à tous les exercices, et acquérait la santé résistante qu’il faut avoir pour vivre sous la tente et faire campagne. Dès sa première enfance, il était imbu de l’esprit militaire ; son père et ses oncles ne s’entretenaient à table que de leurs risques de guerre et de leurs faits d’armes ; son imagination prenait feu ; il s’accoutumait à considérer leur état comme le seul digne d’un homme de cœur et de race, et il s’y précipitait avec une précocité que nous ne comprenons plus. J’ai lu quantité d’états de service de gentilshommes assassinés, guillotinés ou émigrés[2] ; presque toujours, ils sont entrés dans

    caractère également raides, et que j’ai vu, en 1790, abandonner le département, par aversion pour les maximes que la Révolution y avait forcément introduites. »

  1. Le maréchal Marmont, Mémoires. — Dès l’âge de neuf ans, il montait à cheval, et chassait tous les jours avec son père.
  2. Entre autres documents manuscrits, lettre de M. G. Symon de Carneville, 11 mars 1881 (sur les familles de Carneville et de Montmorin-Saint-Herem, en 1789). La seconde de ces familles resta en France : deux de ses membres furent massacrés, deux exécutés, un cinquième « échappa à l’échafaud en prévenant la justice du peuple » ; le sixième, engagé dans les armées de la