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LA CONSTITUTION APPLIQUÉE


noble de voir se former en face de sa troupe une troupe indépendante, populaire, bourgeoise, rivale et même hostile, en tout cas dix fois plus nombreuse et non moins exigeante que susceptible, d’être tenu envers elle aux complaisances et aux déférences, de lui céder les postes, les arsenaux, les citadelles, de traiter ses chefs en égaux, quelle que soit leur ignorance ou leur indignité, quels qu’ils soient, ici un avocat, là un capucin, ailleurs un brasseur ou un cordonnier, le plus souvent un démagogue, et dans maint bourg ou village un déserteur, un soldat chassé du régiment pour inconduite, peut-être tel de ses propres hommes, mauvais sujet qu’il a renvoyé jadis avec la cartouche jaune, en lui disant d’aller se faire pendre ailleurs. Il est dur à un officier noble d’être diffamé publiquement et journellement à raison de son grade et de son titre, d’être qualifié de traître au club et dans les gazettes, d’être désigné par son nom aux soupçons et aux fureurs populaires, d’être hué dans la rue et au théâtre, de subir la désobéissance de ses soldats, d’être dénoncé, insulté, arrêté, rançonné, chassé, meurtri par eux et par la populace, d’avoir en perspective une mort atroce, ignoble et sans vengeance, celle de M. de Launey massacré à Paris, de M. de Belsunce massacré à Caen, de M. de Bausset massacré à Marseille, de M. de Voisins massacré à Valence, de M. de Rully massacré à Bastia, de M. de Rochetaillée massacré à Saint-Étienne, de

    n’avait pas le droit de faire marcher ses grenadiers, et le meurtre s’est accompli sous ses yeux.