Page:Tallemant des Réaux - Les historiettes, tome 3.djvu/204

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et lui trouve une main de papier sur l’estomac. Le voilà à l’appeler lâche et poltron ; Alix lui répond qu’il eût été bien sot de se mettre en danger pour une badinerie. « Le diable emporte le duel ! dit-il ; j’aime mieux vous passer votre cahier, et ôtez-vous cette folie de la tête. » Menant se laisse persuader, et de ce pas ils allèrent déjeûner ensemble.

Long-temps après, Menant eut un grand procès contre un nommé Bajasson et contre un nommé Parnajon. Cette affaire lui avoit tellement frappé la cervelle, que la première chose qu’il disoit aux gens, c’étoit : « Je ruinerai Bajasson, et je ferai pendre Parnajon. » Ce Bajasson avoit marié sa fille avec feu M. Bignon, avocat-général au Parlement : cela faisoit qu’il n’espéroit pas pouvoir le faire pendre. Enfin M. Bignon avec Berger, frère de Menant, conseiller au Parlement, résolut de faire un si gros compromis pour mettre cette affaire en arbitrage, que personne ne s’en pût dédire. Pour tiers, il trouva ce M. Alix, dont nous venons de parler. Alix, qui connoissoit le pélerin, leur remontra que s’ils ne donnoient à Menant quelque chose plus qu’il ne lui appartenoit, ils n’en viendroient jamais à bout. Cela fut fait comme il l’avoit dit ; mais Menant ne s’en contenta point, et ne se voulut point tenir à la sentence arbitrale ; il alléguoit pour ses raisons que Bignon étoit un finet, Berger une grosse bête, et qu’Alix se souvenoit peut-être de leur duel.

L’âge le rendit plus extravagant, et sur ses vieux jours il s’imaginoit tous les ans, durant deux ou trois mois, qu’il étoit dans le néant. Une fois, il alléguoit en pleine audience, pour une ouverture à une requête