Page:Taxil, Mémoires d'une ex-palladiste parfaite, initiée, indépendante.djvu/23

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époque de la venue de l’Ante-Christ. Pouvez-vous imaginer une époque plus triste pour la religion chrétienne ? Non. Ce sera l’abomination de la désolation : il y aura des apostasies navrantes, désastreuses, même parmi les évêques ; la corruption sera partout. Pourtant, les saints de la terre désespéreront-ils ? Non. — Eh bien, je me croyais dans une époque semblable pour la religion luciférienne ; je me croyais une sainte de Lucifer. Surtout, lorsque l’élection de Lemmi s’est faite, je n’ai plus douté : lutea periclitatio, l’épreuve de boue. Les premières infamies et les premiers crimes que j’ai constatés étaient, à mes yeux, les signes précurseurs de cette suprême ordure. Et il me semblait toujours voir luire le diamant, au milieu du fumier.

Cet état d’esprit où j’étais, c’est Lucifer qui m’y avait mise. J’y ai persévéré pendant six années, sans me rebuter par ce qui déchirait mon cœur ; car ce dont j’étais désolée me semblait l’accomplissement même des attristées paroles de Celui en qui j’avais foi, en qui mon éducation luciférienne me montrait le Dieu-Bon. Il m’a fallu voir enfin les esprits de mensonge dépouillés de leur faux éclat et de leur trompeuse beauté, pour comprendre que Lucifer n’est que Satan et que ses anges sont les mauvais anges. Sans cela, je serais encore dans l’erreur ; sans cela, aujourd’hui ainsi qu’avant la rageuse voûte du Comité Fédéral de Londres, je m’obstinerais, toujours aveugle, à vouloir réaliser l’irréalisable : régénérer le Palladisme en le lavant des immondices, en ne conservant de lui que ce que je croyais être le diamant, en donnant à sa doctrine une traduction pure, en tous points honnête, conforme à l’invariable morale du bien.

Disons cette présentation.

Les membres du Sérénissime Grand Collège m’invitèrent d’abord à venir à Charleston. J’y arrivai le jeudi 4 avril. On sait que Lucifer est réputé apparaître au Sanctum Regnum chaque vendredi, à trois heures. Là, selon ce qui est rapporté et qui est admis comme véridique dans les Triangles, il parle et donne ses instructions aux premiers chefs, même s’ils ne sont pas au complet, c’est-à-dire le Souverain Pontife du Suprême Directoire Dogmatique et les dix Anciens et Émérites, membres à vie du Sérénissime Grand Collège ; car Albert Pike, quoique jouissant du don de transport instantané, n’y venait pas exactement à toutes les tenues dites divines. Mais ce vendredi, 5 avril 1889, il y fut présent.

Ce n’est pas à cette réunion que j’étais convoquée ; personne autre que les onze premiers chefs ne peut assister à la tenue divine hebdomadaire.

Le soir du vendredi, l’un des Émérites vint me faire part de ce qui s’étaît passé. Le Dieu-Bon, me dit-il, avait écouté avec intérêt l’exposé