Page:Thucydide - Œuvres complètes, traduction Buchon, pp001-418, 1850.djvu/150

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comme je le suis de ma pensée ; mais je crois devoit céder aux circonstances autant qu’elles l’exigent. Je vous engage à suivre mon exemple, sans attendre que vous y soyez forcés par les ennemis[1]. Ce n’est pas une honte dans une même famille, que l’un cède à l’autre ; que le Dorien cède au Dorien, et le Chalcidien à un citoyen originaire de la Chalcide. En un mot, voisins comme nous le sommes, habitans d’une même contrée, et d’une contrée que la mer enveloppe, nous avons tous un nom commun, celui de Siciliens. Je crois bien que nous nous ferons la guerre quand les circonstances le voudront ; nous traiterons ensuite et parviendrons à nous réconcilier ; mais si nous somme sages, resserrons-nous étroitement pour nous défendre contre les étrangers, puisque, séparément frappés, nous courrons tous un danger commun. Nous n’appellerons plus à l’avenir ni alliés ni conciliateurs, et en agissant ainsi, nous ne priverons pas en ce moment la Sicile de deux grands biens : d’être délivrée des Athéniens et d’une guerre domestique ; et dans la suite, nous habiterons ensemble un pays libre et moins exposé aux manœuvres du dehors. »

LXV. Les Siciliens, persuadés par le discours d’Hermocrate, consentirent d’un commun accord à terminer la guerre. Chacun garda ce qu’il avait entre les mains : ceux de Camarina eurent Morgantine, moyennant une somme qu’ils payèrent aux Syracusains. Les alliés d’Athènes ayant appelé les commandans de cette nation, leur déclarèrent qu’ils allaient accéder à l’accommodement, et qu’ils les feraient comprendre dans le traité. Ceux-ci donnèrent leur consentement à l’accord, et il fut conclu. Mais les Athéniens, au retour de leurs généraux, condamnèrent à l’exil Pythodore et Sophocle, et imposèrent une amende au troisième général, Eurymédon, prétendant qu’ils auraient pu soumettre la Sicile, et qu’ils ne s’étaient retirés que gagnés par des présens. Favorisés comme ils l’étaient de la fortune, ils prétendaient que rien ne leur résistât, et croyaient devoir également réussir dans les entreprises aisées et dans les plus difficiles, soit qu’ils les fissent avec de grands préparatifs ou avec un appareil insuffisant. La cause de ce travers était la multitude de leurs succès inattendus, qui leur faisait supposer leurs forces égales à leurs espérances.

LXVI. Dans ce même été[2] les Mégariens de la ville étaient pressés par les Athéniens, qui, deux fois chaque année, se jetaient sur leur pays avec des armées formidables, et par leurs exilés, qui, chassés dans une émeute par la faction du peuple, s’étaient retirés à Pagues, d’où ils venaient les tourmenter et mettre la campagne au pillage. Ils se disaient entre eux qu’il faudrait rappeler les bannis, pour ne pas voir la république ruinée de deux côtés à la fois. Les amis des exilés, informés de ces propos, engagèrent, plus ouvertement qu’ils ne l’avaient fait jusqu’alors, les citoyens à s’occuper de cette question. Mais les chefs du parti populaire sentirent qu’ils ne seraient pas épargnés par le peuple aigri de ses maux : ils furent saisis de crainte, et lièrent des intelligences avec les généraux d’Athènes, Hippocrate, fils d’Ariphron, et Démosthène, fils d’Aleisthène. Ils offrirent de leur livrer la ville, jugeant qu’il y avait pour eux, de ce côté, moins de risque à courir, que du retour des citoyens qu’ils avaient privés de leur patrie. Ils convinrent d’abord que les Athéniens s’empareraient des longues murailles qui étaient à huit stades[3] au plus de la ville, du côté de Nisée où était le port. Maîtres de ces murs, ils empêcheraient les Péloponnésiens d’apporter du secours de Nisée, place dont eux seuls composaient la garnison, pour se mieux assurer la possession de Mégare. Ils promettaient de faire ensuite leurs efforts pour livrer aux Athéniens la ville haute. Après ces deux opérations, les Mégariens consentiraient facilement à se rendre.

LXVII. Ou conféra des deux parts, on fit les dispositions nécessaires ; et les Athéniens, à l’approche de la nuit, se portèrent à Minoa, îlle voisine, dépendante de Mégare ; ils avaient six cents

  1. Hermocrate, en parlant ici a la première personne du singulier, s’identifie avec la république de Syracuse dont il est l’organe. Ainsi quand il dit : Je ne me crois pas maître, etc., je vous engage à suivre mon exemple, c’est comme s’il disait : « Les Syracusains, qui vous parlent par ma voix, ne se croient pas maîtres, etc., ils vous engagent à suivre leur exemple. »
  2. Huitième année de la guerre du Péloponnèse, première année de la quatre-vingt-neuvième olympiade, quatre cent vingt-quatre ans avant l’ère vulgaire. Après le 17 juillet.
  3. Un peu moins d’un tiers de lieue.