Page:Thucydide - Œuvres complètes, traduction Buchon, pp001-418, 1850.djvu/195

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énomotarques, et ces derniers à l’énomotie[1]. Tous les ordres que les rois peuvent avoir à donner suivent cette marche et sont bientôt répandus ; car dans une armée lacédémonienne, si l’on en excepte un petit nombre, on ne voit presque que des commandans d’autres commandans, et l’exécution de tout ce qui se doit faire est confiée à un grand nombre d’hommes.

LXVII. Les Scirites se trouvèrent dans cette journée à l’aile gauche[2] : seuls des Lacédémoniens, ils avaient le privilège de n’être jamais séparés ni mêlés avec d’autres troupes. Près d’eux étaient les soldats qui avaient fait la guerre en Thrace avec Brasidas, et avec ceux-ci, les Néodamodes. Ensuite venaient les Lacédémoniens, distribués en cohortes, et auprès d’eux les Hérœens, qui font partie des Arcades, puis les Mænaliens.

Dans l’armée opposée, les Mantinéens occupaient la droite, parce que c’était chez eux que se livrait la bataille. Près d’eux étaient les Arcades alliés, ensuite les mille hommes d’élite d’Argos à qui leur république fournissait depuis long-temps, à ses frais, les moyens de s’exercer ; ils étaient suivis du reste des Argiens, et après eux venaient les Cléonéens et les Ornéales. Ensuite étaient les Athéniens ; ils formaient la gauche, et avaient avec eux leur cavalerie.

LXVIII. Tel était l’ordre et tel l’appareil des deux armées. Celle des Lacédémoniens paraissait la plus considérable ; mais je ne saurais dire précisément le nombre des troupes de chaque nation ni de toutes ensemble. Celui des Lacédémoniens, par le secret qui règne dans leur gouvernement, était inconnu ; et celui de leurs ennemis, par cette jactance naturelle aux hommes d’exagérer leur nombre, méritait peu de confiance. On peut cependant estimer le nombre des Lacédémoniens qui se trouvèrent à cette journée, par un calcul tel que celui-ci : Sept cohortes donnèrent, sans compter les Scirites qui étaient au nombre de six cents. Dans chaque cohorte étaient quatre pentécostys ; et dans la pentécostys, cinq énomoties. A la première ligne de chaque énomotie étaient quatre hommes. Tous n’étaient pas rangés sur la même profondeur, mais comme le jugeait à propos chaque chef de cohorte ; en général, ils étaient disposés sur une profondeur de huit hommes. En tout, la première ligne était de quatre cent quarante-huit hommes, sans les Scirites.

LXIX. Quand les armées furent près d’en venir aux mains, les commandans de chaque peuple encouragèrent leurs soldats. Aux Mantinéens, ils représentèrent que c’était pour la patrie qu’ils allaient combattre ; qu’il s’agissait de l’esclavage ou de la domination, de n’être pas privés de l’une après l’avoir connue, et de ne pas retomber dans l’autre. Aux Argiens, qu’ils allaient combattre pour leur ancien empire, pour ne pas se voir ravie pour toujours cette égalité dont ils avaient joui dans le Péloponnèse, et pour punir de nombreuses injures sur des ennemis qui étaient en même temps leurs voisins. Aux Athéniens, qu’il était beau, en combattant avec des alliés nombreux et distingués par leur valeur, de ne céder à aucun d’eux en vertus ; qu’une fois vainqueurs des Lacédémoniens dans le Péloponnèse, ils accroîtraient leur empire, le rendraient plus assuré et n’auraient plus à craindre qu’à l’avenir aucun autre ennemi se montrât sur leur territoire. Des encouragemens semblables furent donnés aux Argiens et à leurs alliés. Les Lacédémoniens s’excitaient les uns les autres, au bruit des chants guerriers, à ne pas oublier ce qu’ils savaient, qu’ils étaient des hommes de cœur, et qu’un long exercice de belles actions est bien plus capable de sauver les hommes que des exhortations éloquentes qui ne durent qu’un instant.

LXX. Ensuite les deux armées s’avancèrent ; les Argiens à grands pas et avec impétuosité, les Lacédémoniens lentement, et, suivant leur usage, au son d’un grand nombre de flûtes distribuées dans les rangs non par religion, mais pour marcher également et en mesure, et ne pas troubler le bon ordre, comme il arrive sou-

  1. Les polémarques étaient les officiers généraux : ils avaient le principal commandement après le roi qui était général en chef. J’ai appelé commandant de cohortes ce que les Lacédémoniens appelaient lochagues, loxagoï chefs de loque, loxos. Le loque était composé de quatre pentécostys, et comme la pentécostys était de cent vingt-huit hommes, le loque en contenait cinq cent douze. La pentécostys était formée de quatre énomoties, et chaque énomotie avait trente-deux hommes. (Scol.)
  2. Thucydide observe qu’à celle journée les Scirites occupaient la gauche, parce qu’ordinairement ils étaient au centre avec le roi. Ils portaient des secours aux corps qui étaient trop pressés par l’ennemi.