Page:Thucydide - Œuvres complètes, traduction Buchon, pp001-418, 1850.djvu/217

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mauvaise résolution, et venir ici se mettre sous nos mains. Que certaines gens nous annoncent de telles nouvelles et cherchent à nous effrayer, c’est une audace qui ne m’étonne pas ; ce qui m’étonne, c’est leur stupidité, s’ils croient qu’on ne connaît pas leurs intentions. Ceux qui éprouvent en particulier quelque crainte, veulent plonger l’état dans la terreur, pour envelopper de ténèbres leur timidité à la faveur des craintes générales. Voilà ce que signifient ces nouvelles : elles ne se répandent pas d’elles-mêmes, et sont forgées par des hommes qui ne savent qu’exciter sans cesse de tels mouvemens. Mais vous, si vous êtes sages, ce n’est pas d’après ce que ces gens annoncent que vous devez raisonner sur le parti qu’il faut prendre, mais d’après ce que doivent faire des hommes prudens et d’une grande expérience, tels que je regarde les Athéniens. Il n’est pas croyable qu’ils laissent derrière eux les Péloponnésiens et une guerre encore peu solidement terminée, pour venir, de leur propre mouvement, en chercher une autre non moins difficile. Je crois bien qu’ils se félicitent plutôt de ce que nous n’allons pas les attaquer nous-mêmes, nous qui formons tant de villes et des villes si puissantes.

XXXVII. « Mais s’ils venaient, comme on le dit, je maintiens que la Sicile, mieux pourvue de tout que le Péloponnèse, est plus capable de les arrêter, et que notre république seule est bien plus forte que l’armée qui, dit-on, s’avance maintenant, quand elle serait deux fois encore plus nombreuse. Je suis certain qu’ils n’auront point de cavalerie, qu’ils n’en tireront d’ici, si ce n’est une très faible, qu’Égeste pourra leur fournir, et qu’il ne viendra pas sur une flotte autant d’hoplites que nous en avons. C’est une chose difficile, même avec des vaisseaux légers, de franchir une si longue navigation et d’apporter tout ce qui d’ailleurs est nécessaire pour attaquer une ville de l’importance de la nôtre. Je suis si loin des craintes qu’on cherche à vous inspirer, que même si les Athéniens, à leur arrivée, avaient à leur disposition une autre ville telle que Syracuse, et située sur nos frontières, d’où ils n’eussent qu’à partir pour nous faire la guerre, je croirais à peine qu’ils évitassent leur entière destruction : que sera-ce donc s’ils ont la Sicile pour ennemie ? Ils ne pourront camper qu’à l’abri de leurs vaisseaux. Réduits à de méchantes tentes et au plus étroit nécessaire, notre cavalerie ne leur permettra guère de s’éloigner. En un mot, je pense qu’ils seront à peine maîtres de prendre terre, tant je crois que nos forces auront de supériorité.

XXXVIII. « Ce que je dis, les Athéniens le savent comme moi, et je suis sûr qu’ils pensent à conserver ce qu’ils possèdent. Mais il se trouve ici des gens qui nous disent ce qui n’est point, ce qui ne sera point ; et ce n’est pas d’aujourd’hui, c’est de tout temps que je connais leur envie d’effrayer le peuple par de semblables discours, par d’autres encore plus dangereux, et même par des voies de fait. Leur but est de se voir à la tête de la république, et je crains bien qu’à force de tentatives ils ne réussissent un jour. Nous sommes lâches à nous mettre en garde contre leurs desseins, avant d’en souffrir les effets, et à les punir quand ils sont connus. Aussi notre république jouit-elle rarement de la tranquillité, souvent en proie aux séditions, obligée de soutenir moins de combats contre les ennemis que contre elle-même, et quelquefois soumise à des tyrans et à des pouvoirs usurpés. Si vous suivez mes conseils, je tâcherai que de tels maux n’arrivent pas de nos jours. Avec vous, qui formez le plus grand nombre, j’emploierai la persuasion ; et contre ceux qui ourdissent de semblables trames, les peines ; et ce ne sera pas seulement contre les coupables manifestes, il est difficile de les prendre sur le fait, mais contre ceux qui ont de mauvais desseins et ne peuvent les remplir. Car il ne faut pas seulement se défendre contre les attentats d’un ennemi, mais se prémunir contre ses intentions mêmes, dans la crainte de tomber dans ses embûches, si l’on ne s’en est pas garanti. Il est un petit nombre d’hommes que je convaincrai de leurs mauvais desseins, dont j’éclairerai la conduite, que j’instruirai de leur devoir, et c’est, je crois, le meilleur moyen de les détourner du crime.

Mais vous, jeunes gens, car c’est à quoi j’ai souvent réfléchi, que voulez-vous ? avoir déjà part au gouvernement ? la loi ne le permet pas ; elle vous écarte des honneurs, parce que vous ne sauriez les remplir, et non pour vous en tenir éloignés quand vous en devenez capables. Voulez-vous n’être pas réduits à l’égalité avec