Page:Thucydide - Œuvres complètes, traduction Buchon, pp001-418, 1850.djvu/265

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suis acquitté de tous les devoirs religieux que prescrivent les lois, et je me suis montré juste et généreux envers les hommes. Voilà ce qui, dans les maux que nous éprouvons, me donne, pour l’avenir, du courage et de l’espérance. Ces malheurs que nous n’avons pas mérités nous effraient : ils cesseront peut-être. Nos ennemis ont eu désormais assez de bonheur ; et si c’est contre la volonté de quelque dieu que nous avons fait la guerre, nous sommes assez punis. D’autres avant nous se sont montrés agresseurs : ils avaient fait de ces fautes que comporte l’humanité ; ils n’ont souffert que des maux supportables. Nous pouvons espérer aussi que les dieux vont nous traiter avec plus de clémence : car nous sommes plus dignes de leur pitié que de leur haine. En vous regardant vous-mêmes, et voyant en quel nombre vous êtes, bien armés, et marchant en bon ordre, ne vous abandonnez pas à trop de frayeur. Songez que partout où vous vous arrêterez, vous formez une cité puissante, et qu’il n’est aucune république de la Sicile capable de vous résister aisément si vous l’attaquiez, ni de vous chasser si vous formiez un établissement. Observez, dans la marche, de vous tenir sur vos gardes, et toujours en bon ordre. En quelque lieu que vous soyez obligés de combattre, n’ayez qu’une seule pensée ; c’est que ce lieu sera votre patrie, votre ville. Nous marcherons jour et nuit, car nous n’avons que peu de vivres. Si nous gagnons quelque endroit de la Sicile où nous ayons des amis (et nous sommes assurés de leur fidélité, par la crainte qu’inspirent les Syracusains), soyez certains dès lors que vous êtes en sûreté. Déjà des messages ont été expédiés dans ces villes : elles sont priées de venir à notre rencontre, de nous apporter des subsistances. En un mot, sachez que l’absolue nécessité vous impose d’avoir du courage, parce qu’il n’est près de vous aucun asile où vous puissiee vous sauver si vous manquez de vigueur. Mais si vous pouvez maintenant vous soustraire aux ennemis, vous qui n’êtes pas citoyens d’Athènes, vous reverrez les objets de vos désirs ; et vous, Athéniens, vous relèverez la puissance tombée de la république. Ce sont les hommes qui constituent les villes, et non des murailles et des vaisseaux vides. »

LXXVIII. C’était ainsi que Nicias exhortait son armée en la parcourant ; et s’il voyait quelque part des soldats dispersés et hors de leurs rangs, il les rassemblait et les mettait en bon ordre. Démosthène tenait à peu près les mêmes discours aux troupes qu’il commandait. La division aux ordres de Nicias marchait en bataillon quarré ; celle de Démosthène suivait : les bagages et la multitude étaient placés au milieu des hoplites. Arrivés au passage de l’Anapus, ils trouvèrent, sur le bord de ce fleuve, un détachement de Syracusains et d’alliés rangés en bataille : ils le repoussèrent, se rendirent maîtres des passages, et continuèrent d’avancer. Mais la cavalerie syracusaine ne cessait de les harceler, et les troupes légères tiraient sur eux. Ils franchirent dans cette journée à peu près quarante stades, et passèrent la nuit près d’un tertre. Ils se remirent en marche le lendemain de bonne heure[1], firent environ vingt stades, et descendirent dans une plaine : c’était un endroit habité ; ils y campèrent à dessein d’en tirer quelques vivres et de l’eau pour emporter avec eux : car ils en avaient peu pour la route qu’ils avaient à faire, et qui était d’un grand nombre de stades. Cependant les Syracusains se portèrent en avant, et murèrent le passage que leurs ennemis devaient franchir : c’était une éminence forte par elle-même, et des deux côtés étaient des ravins escarpés et profonds. On l’appelait le roc Acrée. Le lendemain, les Athéniens s’avancèrent[2] ; la cavalerie et les troupes légères de Syracuse étaient nombreuses ; elles les arrêtaient, leur lançaient des traits, voltigeaient autour d’eux. Les Athéniens soutinrent long-temps le combat : ils retournèrent ensuite au camp d’où ils étaient partis ; mais ils ne purent s’y procurer des vivres, la cavalerie ne leur permettait plus de s’écarter.

LXXIX. Ils reprirent leur marche le matin[3], et s’ouvrirent de vive force le passage jusqu’au tertre fortifié. Là ils trouvèrent devant eux, au haut du rempart, l’infanterie disposée sur un ordre profond ; car le lieu était étroit. Ils attaquèrent le mur ; mais ils étaient accablés de traits ; les ennemis, rangés en amphithéâtre, pouvaient tirer en grand nombre à la fois, et ces traits, lancés d’en haut, en étaient plus pénétrans. Ils ne purent forcer la muraille, et firent leur retraite. Pendant qu’ils prenaient du repos, il survint du tonnerre et de la pluie, comme il

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  2. 3 septembre.
  3. 4 septembre.