Page:Thucydide - Œuvres complètes, traduction Buchon, pp001-418, 1850.djvu/266

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a coutume d’arriver en été aux approches de l’automne. Cependant la consternation en fut augmentée ; ils croyaient que tous ces événemens se réunissaient pour les perdre.

Gylippe et les Syracusains profitèrent de leur repos pour envoyer des troupes élever, derrière eux, un mur sur le chemin par lequel ils étaient venus ; mais les Athéniens firent partir un détachement pour s’opposer à ce travail. Toute l’armée se rapprocha de la plaine et passa la nuit en chemin : le lendemain ils marchèrent en avant[1] ; mais les ennemis les entourèrent de toutes parts, et en blessèrent un grand nombre. Ils reculaient quand les Athéniens s’avançaient ; ils fondaient sur eux quand ils les voyaient reculer. Ils pressaient surtout les derniers rangs afin de répandre l’effroi dans toute l’armée, pour peu qu’ils les pussent obliger à fléchir. Cette manœuvre dura long-temps ; les Athéniens tinrent ferme. Ils firent ensuite une marche de cinq à six stades[2], et se reposèrent dans la plaine : les Syracusains s’éloignèrent, et regagnèrent leur camp.

LXXX. L’armée était réduite à la dernière misère ; on manquait de munitions de toute espèce, et dans le grand nombre d’attaques qu’on avait souffertes, bien des soldats avaient été blessés. Nicias et Démosthène jugèrent à propos d’allumer, pendant la nuit, un grand nombre de feux, et d’emmener l’armée, non par le chemin qu’on avait d’abord résolu de suivre, mais du côté de la mer, par une route opposée à celle où les attendait l’ennemi ; elle ne conduisait pas à Catane, mais elle prenait de l’autre côté de la Sicile, et menait à Camarina, à Géla, à d’autres villes grecques et barbares situées dans cette partie de l’île. Les feux furent allumés, et l’on partit de nuit. Les troupes éprouvèrent des terreurs paniques, comme il arrive dans toutes les armées, surtout dans les armées considérables, et encore plus pendant la nuit, quand il faut marcher à travers le pays des ennemis et dans leur voisinage. La division de Nicias, qui formait l’avant-garde, continua de marcher, et prit beaucoup d’avance. Celle de Démosthène, qui formait à peu près la moitié de l’armée, se coupa, et marcha en désordre. Cependant, au point du jour[3], ils parvinrent au bord de la mer, prirent la route qu’on appelle hélorine, et s’avancèrent pour gagner le fleuve Cacyparis : ils voulaient en suivre le cours, et pénétrer dans le milieu des terres. Ils espéraient, par cette route, rencontrer les Sicules qu’ils avaient mandés. Parvenus au fleuve, ils y trouvèrent un détachement qui élevait un mur, et plantait des pilotis, pour leur couper le passage. Ils parvinrent à le forcer et passèrent. Les commandans leur firent continuer la marche, vers un autre fleuve, qu’on nomme Érinéum.

LXXXI. Cependant, avec le jour, les Syracusains et les alliés reconnurent l’évasion des Athéniens : la plupart accusaient Gylippe d’avoir bien voulu les laisser échapper. Ils n’eurent pas de peine à savoir de quel côté ils avaient pris ; on se mit aussitôt à leur poursuite, et on les atteignit à l’heure du dîner. La division aux ordres de Démosthène était la dernière, parce qu’elle avait marché plus lentement, et avec moins d’ordre, et qu’elle s’était troublée pendant la nuit. Les ennemis la joignirent, et aussitôt ils l’attaquèrent. La cavalerie n’eut pas de peine à investir ces troupes dispersées et à les mettre à l’étroit. La division de Nicias était en avant, cent cinquante stades plus loin[4]. Il l’avait conduite avec plus de célérité, pensant que, dans une telle circonstance, s’arrêter volontairement et livrer des combats, n’est pas le moyen de se sauver ; mais qu’il faut avancer le plus vite que l’on peut, et ne se pas battre sans y être forcé. Démosthène avait plus à souffrir et avec moins de relâche : parti le dernier, c’était lui que pressait l’ennemi. Quand il reconnut qu’on le poursuivait, il songea moins à s’avancer qu’à se mettre en ordre de bataille, et pendant qu’il perdait du temps, il fut enveloppé, et tomba lui-même dans le plus grand trouble, ainsi que ses soldats. Renfermés dans un endroit environné de murailles, que traversait un chemin, et où se trouvaient de grandes plantations d’oliviers, ils étaient de toutes parts accablés de traits. Les Syracusains aimaient mieux escarmoucher ainsi que d’en venir à un combat en règle ; car se risquer contre des hommes au désespoir, c’est les favoriser, et travailler contre soi-même. Ils pensaient à se ménager ; assurés désormais de la fortune, ils ne voulaient pas risquer de la perdre

  1. 5 septembre.
  2. Moins d’un quart de lieue.
  3. 6 septembre.
  4. Plus de cinq lieues.