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libres les villes bœotiennes. Restaient les Corinthiens, qui ne congédiaient point la garnison d’Argos. Agésilas menaça Corinthe de ses armes si elle ne renvoyait pas les Argiens, et les Argiens s’ils n’évacuaient pas Corinthe. Il intimida tellement les uns et les autres, que les Argiens se retirèrent et que Corinthe rentra dans tous ses droits. Les massacreurs et leurs adhérens quittèrent d’eux-mêmes la ville, où les bannis rentrèrent du consentement des autres citoyens.

Dès que les articles du traité furent exécutés, et que les villes eurent prété leur serment d’adhésion à la paix proposée par Artaxerxès, on licencia les troupes de terre et de mer. Ce fut la première paix conclue entre les Lacédémoniens, les Athéniens et leurs alliés, après la guerre qui suivit la démolition des murs d’Athènes. Tant que dura cette guerre, les Lacédémoniens eurent l’avantage sur leurs adversaires ; ils s’attirèrent plus d’honneur qu’eux à la paix d’Antalcide. Arbitres de cette paix proposée par le roi de Perse, ils remirent les villes en liberté. ils s’associèrent Corinthe, ils rendirent aux villes bœotiennes l’indépendance qu’elles désiraient depuis si long-temps ; enfin ils réprimèrent l’insolence des Argiens, tyrans de Corinthe, en les menaçant d’une levée s’ils ne se retiraient de cette ville.


CHAPITRE II.


Parvenus au comble de leurs vœux, ils résolurent de châtier ceux des alliés qui, pendant la durée de la guerre, les avaient molestés et avaient montré moins de bienveillance pour Sparte que pour ses ennemis. Ils expédièrent d’abord aux Mantinéens l’ordre de démanteler leurs murs : le refus serait la preuve qu’ils avaient auparavant entretenu intelligence avec l’ennemi. « Nous sommes instruits, leur disaient-ils, que vous avez envoyé des vivres aux Argiens en guerre avec nous ; sous prétexte de trêve, vous nous refusiez des secours, ou si vous marchîez sous nos étendards, vous vous comportiez en lâches : de plus, nous vous savons envieux de nos succès et joyeux de nos revers ; d’ailleurs, dans cette année même finit la trêve de trente ans, conclue avec vous après la bataille de Mantinée. »

Ils refusèrent d’obéir ; on ordonna des levées. Agésilas demanda qu’on le dispensât de commander dans cette guerre, en considération, disait-il, des services importans que les Mantinéens avaient rendus à son père dans celle des Messéniens. Agésipolis prit sa place, malgré l’affection de Pausanias son père pour les principaux citoyens de Mantinée.

Il ne fut pas plutôt sur leurs frontières, qu’il ravagea le territoire. Comme ils ne se rendaient pas, il enferma la ville d’une tranchée, à laquelle la moitié de l’armée travaillait tandis que l’autre se tenait sous les armes. La tranchée achevée, il enferma la ville d’une circonvallation ; mais ayant appris que cette place abondait en blé, à cause de la fertilité de l’année précédente, et songeant aux difficultés d’un long siège pour la république et pour les alliés, il fit une chaussée pour détourner le fleuve qui traversait la ville : son lit était très large. Dès qu’il l’eut obstrué, l’eau regorgea au-dessus des fondemens des maisons et des murs. Les briques d’en bas, trop humectées, cédant au faix de celles du haut, le mur s’entr’ouvrait d’abord et penchait ensuite : les Mantinéens l’étayaient et s’efforçaient d’empêcher la chute de la tour ; mais se voyant surmontés par l’eau, et craignant d’être emportés d’assaut si les murailles s’écroulaient de toutes parts, ils offrirent de démanteler leur ville. Les Lacédémoniens déclarèrent que leur dispersion dans différentes bourgades pouvait seule calmer leur ressentiment. La nécessité en faisait une loi aux Mantinéens ; ils dirent qu’ils y consentaient.

Ceux qui gouvernaient ou qui avaient favorisé le parti d’Argos, s’attendaient au dernier supplice. Ils obtinrent d’Agésipolis, par l’entremise de son père, de se retirer en toute assurance jusqu’au nombre de soixante. Les Lacédémoniens, rangés en haie depuis leurs maisons jusque hors des portes de la ville, les voyaient sortir, et quoique leurs ennemis, ils se contenaient plus facilement que les principaux citoyens de Mantinée : grand exemple de soumission à l’autorité publique.

La ville fut donc démantelée et les habitans divisés, comme autrefois, en quatre bourgades. D’abord on s’affligeait de ce qu’il fallait détruire des maisons construites et en rebâtir d’autres ; mais les propriétaires étant plus près de leurs métairies situées autour des bourgades, la ré-