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fuyait, son infanterie resta immobile sur le terrain où s’était engagée l’attaque. À l’aile droite, la cavalerie ennemie avait pareillement fui ; mais celle des Thébains, loin de poursuivre et de faire main basse sur les cavaliers et les fantassins, saisie d’une frayeur soudaine, se retira comme vaincue du milieu des fuyards. Les hamippes et les peltastes, qui venaient de vaincre avec la cavalerie, passaient en vainqueurs à l’aile gauche ; mais ils furent presque tous taillés en pièces par les Athéniens.

L’issue du combat trompa l’attente générale. Il n’y avait personne qui ne crût, en voyant presque tous les Grecs rassemblés, que si on livrait bataille, les vaincus ne prissent la loi du plus fort ; mais la divinité permit que les deux partis dressassent un trophée en qualité de vainqueurs, et sans opposition ni de part ni d’autre. Les deux partis, comme s’ils avaient vaincu, rendirent les morts par composition ; tous deux les reçurent par composition. Tous deux se prétendirent victorieux sans avoir gagné ni pays ni ville, sans avoir plus agrandi leur domination qu’avant le combat. Ce qu’il y a de certain, c’est qu’on vit plus de trouble et de confusion dans la Grèce depuis le combat qu’auparavant. Bornons ici notre histoire ; laissons à d’autres le soin d’en transmettre la suite.




ANABASE
OU
RETRAITE DES DIX-MILLE.
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LIVRE PREMIER.


CHAPITRE PREMIER.


Darius eut de Parysatis deux fils. L’ainé se nommait Artaxerxès, et le plus jeune Cyrus. Ce prince était tombé malade, et se doutant que sa fin approchait, voulut avoir près de lui ses deux fils. L’aîné se trouvait à la cour ; il rappela le plus jeune du gouvernement dont il l’avait fait satrape, dignité à laquelle il avait joint le commandement de toutes les troupes qui s’assemblent dans la plaine du Cassole. Cyrus partit donc, escorté de trois cents hoplites grecs que commandait Xénias de Parrhésie et accompagné de Thissapherne, qu’il croyait son ami.

Darius étant mort et Artaxerxès étant monté sur le trône, Tissapherne accuse Cyrus d’avoir tramé contre lui une conspiration. Le roi crut le délateur, et fit arrêter Cyrus pour le punir de mort ; mais Parysatis sa mère le sauva par ses prières, et obtint qu’il fut renvoyé dans son gouvernement. Il avait tout à la fois couru risque de la vie et reçu un affront : il ne fut pas plutôt parti qu’il chercha les moyens de ne plus dépendre de son frère, et même de régner en sa place, s’il le pouvait. Parysatis favorisait ce prince, qu’elle chérissait plus que le roi : d’un autre côté, quiconque venait le trouver de la part d’Artaxerxès ne le quittait pas sans se sentir plus d’attachement pour lui que pour son frère. il prenait d’ailleurs un tel soin des Barbares qui étaient à son service, qu’il en avait fait de bons soldats, attachés à sa personne.

Il levait aussi des troupes grecques le plus secrètement possible, afin de prendre le roi au dépourvu. Lorsqu’on recrutait des troupes pour les mettre en garnison dans les différentes villes de son gouvernement, il ordonnait aux commandans d’enrôler surtout les meilleurs soldats du Péloponnèse, sous prétexte que Tissapherne en voulait à ces places ; car les villes ioniennes étaient anciennement du gouvernement de ce satrape : le roi les lui avait données ; mais toutes, excepté Milet, venaient de se révolter, et de se remettre entre les mains de Cyrus. Tissapherne ayant pressenti que les habitans de Milet