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guerre du Péloponnèse, et il avait annoncé le projet d’étendre son travail jusqu’à la vingt-septième et dernière année. »

L’Histoire de Thucydide paraît avoir été assez peu connue de son vivant. Peut-être l’estime qu’il y professe pour les Lacédémoniens retarda-t-elle pendant quelques années l’expression de l’estime qui lui était due. Quelques écrivains anciens ont rapporté qu’en l’année 391 il n’en existait qu’un seul exemplaire dont Xénophon se fit l’éditeur. Ce qu’il y a de certain, c’est qu’au temps de Démosthènes, elle était fort répandue et hautement appréciée par tous les bons esprits et qu’elle a pris, parmi les meilleures compositions anciennes et modernes, une prééminence qu’elle a toujours conservée depuis.

Les manuscrits les plus anciens que l’on en possède ne remontent pas au-delà du onzième siècle. La bibliothèque du roi en possède treize qui ont été décrits par M. Gail.

La première traduction de Thucydide a été faite en latin par Laurent Valla et imprimée à Venise en 1474 ; depuis cette époque il a été traduit dans toutes les langues et réimprimé dans tous les pays.

La plus ancienne traduction française est celle de Claude Seyssel, imprimée pour la première fois à Paris en 1527, en un volume in-folio, pour l’usage de Louis XII. Seyssel, en suivant l’interprétation latine de Valla, avait toujours consulté Lascaris sur les passages douteux ; mais, malgré tous les efforts de Seyssel pour mettre son style français à la hauteur de l’original, malgré l’estime qu’avait pour lui Charles-Quint qui portait toujours cette traduction dans ses voyages, sa traduction est illisible aujourd’hui.

Une seconde traduction de Thucydide fut publiée en 1610, in-folio, à Genève, par Louis Jausaud d’Usez. Si Jausaud savait le grec, il savait peu le français, et ce n’est qu’à l’aide du texte que l’on peut comprendre sa traduction, qui, pour être littérale, n’est pas exempte de contre-sens.

Perrot d’Ablancourt, dont les traductions étaient appelées de belles infidèles, a donné aussi, en 1662, une traduction de Thucydide : elle n’est plus qu’infidèle sans être belle.

La plus consciencieuse et la meilleure est celle qui a été publiée par l’Évesque. C’était un homme savant qui comprenait bien son auteur, et dont le style assez facile se lit avec plaisir. Il voile encore les nobles traits de Thucydide, mais sans les cacher ; c’est la traduction que nous avons adoptée. Nous avons aussi conservé les notes les plus utiles de l’Évesque.

Voici la manière dont l’Évesque s’exprime lui-même sur sa traduction et sur son auteur :

« Que le lecteur ne s’attende point à reconnaître dans cette traduction la fière stature et la physionomie imposante de Thucydide : elle n’en offre que le squelette, qui pourra donner seulement une idée des fortes proportions de ce grand historien. Je n’ai jamais cru aux traductions faites d’après des auteurs qui ont eu du génie dans le style : j’y ai cru d’autant moins que la langue du traducteur avait moins d’abondance, d’harmonie, de liberté, de hardiesse que celle de l’auteur. On pourrait alors comparer l’interprète à un peintre qui voudrait copier le chef-d’œuvre d’un grand coloriste, et à qui manqueraient la plupart des couleurs dont le maître a composé ses teintes.

« Cent fois j’ai voulu détruire mon travail plus ou moins avancé ; je me faisais pitié en comparant ma sèche copie aux effrayantes beautés de l’original. J’ai continué cependant ; non pour offrir à mon pays ce qui rend Thucydide admirable, mais ce qui rend utile la lecture de son histoire. La traduction de cet historien manque à la France, car on ne peut donner le nom de traduction à l’infidèle abrégé de Perrot d’Ablancourt. Je craignais d’un côté qu’elle ne manquât long-temps encore, et que la difficulté de l’exécution ne continuât de rebuter ceux qui, par leurs études, seraient capables de s’y livrer. Je craignais de l’autre que dans la foule des imposteurs littéraires, il n’en vint un qui osât publier Thucydide mis en français d’après une traduction latine ou même anglaise. Par une telle copie de copie, on ne pourrait manquer de lui faire perdre ce que j’ai tâché du moins de lui conserver : une précision que l’original peut seul inspirer ; un caractère de fermeté qui s’affaiblit toujours dans une interprétation, mais qui se détruit entièrement quand un interprète ne parle que d’après un autre interprète[1]; les tours de phrase qui sont communs à la langue grecque et à la nôtre, et les expressions qui se correspondent dans les deux langues : car l’idiome des Français est rempli d’hellénismes ; avantage qu’il doit, peut-être, à l’antique colonie fondée à Marseille par les Phocéens[2].

  1. Le moindre mal qui puisse arriver de ces versions faites d’après des versions, c’est que le second traducteur rend par des périphrases les périphrases du premier ; que lui-même est obligé de périphraser bien des mots de la traduction qu’il traduit, et qu’il affaiblit encore certaines expressions qui, dans la première version, étaient déjà plus faibles que celles de l’auteur.
  2. On rapporte la fondation de Marseille par les Phocéens à la première année de la quarante-cinquième olympiade, 600 ans avant l’ère vulgaire. Ces Phocéens