Page:Thucydide - Œuvres complètes, traduction Buchon, pp001-418, 1850.djvu/9

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s’accordait avec celle de son propre caractère, il veut plutôt être noble, grave, imposant et même terrible, que de se parer d’une aimable élégance. Loin de chercher un froid purisme, il affecte de s’approcher du solécisme[1]. Souvent il est âpre et dur dans son style, parce qu’il veut se hérisser de cette aspérité ; parce qu’il croit faire plus d’impression en frappant rudement l’oreille, que s’il la caressait de mots harmonieux : il fait retentir sa phrase du cliquetis des armes, des cris aigus des combattans, du bruit des vaisseaux qui se heurtent et se brisent. Il étonne, et c’est ce qu’il se propose : sa prétention est de se faire admirer ; il dédaigne le soin d’être aimable. L’élégance ne convient point à sa force, et il affecte de montrer cette force dans tout ce qu’elle a d’effrayant[2].

« Hérodote sera toujours préféré par les hommes qui, dans leurs lectures, ne cherchent que le plaisir : Thucydide, par ceux qui aiment une lecture qui les oblige à penser. Démosthènes le regardait comme un grand maître d’éloquence, et le copia, dit-on, tout entier huit fois de sa main. On ajoute même qu’une fois il l’écrivit tout entier de mémoire. Ce n’est pas, comme le remarque Cicéron, que l’éloquence de Thucydide convienne aux tribunaux ni à la place publique ; mais l’orateur y trouve tous les grands moyens que peut fournir le génie, et qu’il n’a plus qu’à développer suivant les règles de son art. »

Je terminerai cet article[3] par un résumé qui reproduira de la manière la plus claire les divers événemens de la vie de Thucydide. Ce tableau est fait d’après la chronologie de Dodwell.

Olympiades. Années. Age.
LXXVII 1   471 Naissance de Thucydide.
LXXXI 1 456 Il entend aux jeux Olympiques la lecture qu’Hérodote fait de son histoire. 15
LXXXVII 1 432 Commencement de la guerre du Péloponnèse, dont il entreprend d’écrire l’histoire.
   " 2 431 L’histoire de Thucydide commence avec cette année. 40
LXXXIX 1 424 Il est envoyé comme général au secours d’Amphipolis. 47
2 423 Il est exilé. 48
412 L’histoire de Thucydide se termine avec cette année. 59
XCIV 2 403 Il est rappelé. 68
XCVI 2 395 Troisième éruption de l’Etna dont Thucydide fait mention. 76
XCVII 1 392 Sa mort. 79


NOTICE SUR XÉNOPHON,
Né vers l’an 445 avant J.-C. − Mort en 354.
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Xénophon, fils de Gryllus, naquit à Erchie, bourgade de la tribu Égéide, vers l’an 445 avant Jésus-Christ.

« Il devait avoir atteint l’âge de quinze ou seize ans, dit M. Letronne dans son excellent article biographique que nous suivrons pied à pied, lorsqu’il fit la connaissance de Socrate. Ce philosophe, rencontrant ce jeune homme, fut frappé de sa beauté modeste ; il lui barra le passage avec son bâton, et lui demanda où on pourrait acheter les choses nécessaires à la vie : « Au marché, » répondit Xénophon. Socrate lui demanda de nouveau : « Où peut-on apprendre à devenir honnête homme ? » Le jeune Athénien hésitait à répondre ; « Suis-moi, lui dit Socrate, et tu l’apprendras. » Dès ce moment il devint son disciple. »

Depuis cet âge jusqu’à l’âge de quarante ans,

  1. En employant les uns pour les autres les genres et les nombres des noms, les temps et les modes des verbes, etc. Ce seraient pour les Français de vrais solécismes ; mais les Grecs et surtout les Attiques, se permettaient ces licences de syntaxe. C’était même chez eu des beautés dont se parèrent les sophistes leurs imitateurs. On trouve chez ces sophistes, tels qu’Alciphron, Ælien, etc., un usage peut-être plus fréquent de l’atticisme, que chez les Attiques eux-mêmes.
  2. Le renversement de l’ordre des mots n’est point admis dans notre langue, qui se permet à peine quelques légères inversions. Elle ne peut emprunter des expressions à la poésie, puisque notre poésie n’a pas un seul mot, une seule forme qui lui appartienne exclusivement. La langue française exige la plus grande clarté et s’effraierait de cette imposante obscurité, qui semble écarter les profanes, et qui inspire une sorte de respect religieux. Elle n’admet que l’usage le plus sobre des ellipses et des mots sous-entendus. Enfin notre syntaxe est scrupuleuse, timide, ou plutôt superstitieuse, et n’ose hasarder le moindre écart. Voilà bien des caractères du style de Thucydide qui se sont effacés dans la traduction : le plus hardi des écrivains ne s’y montre qu’humble, faible, énervé, je dirais même qu’il n’y vit plus.
  3. Depuis la mise sous presse de ce volume, M. Firmin Didot, helléniste distingué, a publié une nouvelle traduction de Thucydide, en quatre volumes in-8o.