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Hellé

dentelle, le grand manteau de satin gris. Je pris le bouquet de Maurice, et je suivis Genesvrier à travers les couloirs.

L’air glacé, me frappant au visage, calma la fièvre qui me brûlait. Assise près d’Antoine, dans la voiture, je m’efforçai de parler sur un ton aisé et naturel, vantant le drame et l’admirable interprète. Il approuvait par mots brefs. Le fiacre tourna dans une ruelle obscure ; — et soudain j’eus le pressentiment, la certitude qu’Antoine savait tout, qu’il allait parler.

— Ma chère Hellé… commença-t-il.

Sa voix altérée m’était douloureuse à entendre. Il soupira profondément, et, par un effort qui le déchirait :

— Hellé, fit-il, mon enfant, j’ai deux mots à vous dire, deux mots seulement. Je voulais attendre à demain… Ce me serait trop pénible… Ne tremblez pas, Hellé ; je ne veux ni vous blesser, ni vous attrister. Ce qui est arrivé devait arriver ; je ne me plains pas.

— Antoine, je vous jure…

— Non, non, ne parlez pas… Vous n’avez pas besoin de vous défendre, ni de rien expliquer… C’était fatal, vous dis-je… Je m’y attendais, depuis quelque temps… Non, Hellé, ne dites rien.

L’ombre me cachait sa souffrance stoïque et lui dérobait mon émoi, mon remords. L’odeur des lilas flottait ironique et douce.

— Vous n’aviez rien promis. Vous étiez libre. Votre cœur a parlé. Suivez son vœu. Que vous offrais-je, moi. Folie, folie ! J’aurais dû penser à mes cheveux qui grisonnent, à l’austérité de ma vie, dont s’est effrayé l’amour. Ainsi chacun a son heure d’illusion et de faiblesse.

— Je vous fais du mal, dis-je dans un sanglot.

— Ne pleurez pas, chère petite, dit-il avec douceur. Comme je vous aimais hier, comme je vous aime aujourd’hui, éternellement je vous chérirai. Mon cœur n’est pas de ceux qui changent… Mais ne craignez pas que je me laisse emporter à quelque folie de désespoir. Je vais souffrir. Je me créerai des devoirs aussi grands que ma douleur… Et maintenant, qu’il ne soit plus jamais question de ces choses.

— Antoine, suppliai-je, je vous verrai encore ? Vous resterez mon ami ?

— Votre ami, toujours. Mais laissez-moi le temps de me calmer et de me reprendre… Plus tard nous nous revenons, chère Hellé.

Je pressai sa main sans répondre. La voiture s’arrêtait. Je descendis.


XXII


Le soleil, frappant à revers les rideaux, de Jouy bleu et blanc, emplissait ma chambre d’un frais demi-jour azuré où tremblaient des flèches de lumière. Je m’éveillai. Lasse, le front lourd de migraine, j’avais seulement conscience d’avoir pleuré longtemps et de m’être endormie tard, d’un sommeil trouble.

Je sonnai. Babette entra, apportant des lettres et des journaux.

Le souvenir me revint, dans l’invasion brusque du jour.

« Grand, très grand succès… Un poète se révèle… Une gloire de demain… Un chef-d’œuvre qui promet d’autres chefs-d’œuvre… »

Sur ce thème, chaque critique, suivant son tempérament et son humeur, brodait l’éloge de Maurice, les louanges à Noémi Robert, des prophéties, des conseils, des félicitations. L’Écho du Jour consacrait, en première page, un long article au jeune triomphateur, rappelait la date de sa naissance, ses amitiés, ses parentés, son voyage byronien… On ajoutait même que Maurice Clairmont avait débuté dans le monde sous les auspices de sa belle cousine, la baronne de Nébriant ; qu’il avait lancé, le premier, la mode des œillets jaunis… On n’oubliait point de décrire son beau type « d’Espagnol mêlé de Maure, ses cheveux indomptés, ses yeux bleus, doux comme des yeux de femme ».

Cette littérature m’étonna. Je la trouvais un peu ridicule. Je revins aux articles de critique sérieuse. Un seul journal apportait une note discordante :