Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol2.djvu/246

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lesquelles Le Démon de Lermontov, dont beaucoup de passages tristes, amoureux, étaient soulignés à l’encre rouge, et dont les pages étaient marquées avec des fleurs. Me rappelant comment, l’année passée, Volodia baisait la bourse de sa demoiselle, je tâchai de faire de même, et en effet, resté seul le soir dans ma chambre, je commençai à rêver en regardant les fleurs et, les approchant de mes lèvres, je me sentis dans un état agréable, pleurnicheur ; de nouveau je fus amoureux, ou du moins je le supposai, pendant quelques jours.

Enfin, cet hiver-là, je fus épris une troisième fois, et d’une demoiselle dont Volodia était amoureux et qui venait chez nous. Cette demoiselle, comme je me le rappelle maintenant, n’avait absolument rien de bien et précisément de ce bien qui me plaisait ordinairement. C’était la fille d’une dame de Moscou très connue et très savante ; elle était petite, maigre, avait de longues anglaises blondes, et un profil très aigu. Tout le monde disait que cette demoiselle était encore plus intelligente et plus savante que sa mère, mais je n’en pouvais nullement juger, parce que, pris d’une sainte frayeur pour son esprit et sa science, je ne lui parlai qu’une fois et avec un tremblement inexplicable. Mais l’enthousiasme de Volodia, que nulle présence n’empêchait de paraître, se communiquait à moi avec une telle force, que je tombai passionnément amoureux de cette jeune