Page:Tolstoï - Anna Karénine, 1910, tome 2.djvu/391

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son aise ; à sa gauche il avait placé Newedowsky, un homme jeune, au visage impénétrable et dédaigneux, pour lequel il se montra plein d’égards.

Malgré son insuccès partiel, Swiagesky était ravi de voir son parti triompher, et raconta avec verve pendant le dîner divers incidents des élections où le pauvre vieux maréchal jouait un rôle ridicule. Oblonsky, content de la satisfaction générale, s’amusait franchement ; aussi, lorsque après le repas on envoya des dépêches de tous côtés, en expédia-t-il une à Dolly, « pour leur faire plaisir, à tous », comme il le confia à ses voisins. Mais Dolly, en recevant le télégramme, regretta en soupirant le rouble qu’il coûtait, et comprit que son mari avait bien dîné, car c’était une de ses faiblesses que de faire jouer le télégraphe après.

On porta des toasts avec des vins excellents qui n’avaient rien de russe, on salua le nouveau maréchal du titre d’excellence, titre dont malgré son air indifférent il était charmé comme l’est une jeune mariée de s’entendre appeler madame. La santé de « notre aimable hôte » fut aussi proclamée, ainsi que celle du gouverneur.

Jamais Wronsky ne se serait attendu à se trouver en province le centre d’une réunion aussi distinguée.

Vers la fin du dîner la gaieté redoubla, et le gouverneur pria Wronsky d’assister à un concert organisé par sa femme au profit de nos frères. (C’était avant la guerre de Serbie.)