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RÉSURRECTION

la jeune femme, lui donna son adresse et l’invita à venir la voir. Et la Maslova y alla. La dame lui fit un accueil des plus aimables, la régala de gâteaux et de vin sucré, la retint jusqu’au soir. Le soir, Katucha vit entrer dans la chambre un homme de haute taille, avec de longs cheveux gris et une barbe grise, qui, aussitôt, s’assit près d’elle et, les yeux luisants et le sourire aux lèvres, se mit à l’examiner et à plaisanter avec elle. La dame le prit à part un moment, dans la chambre voisine. Katucha put entendre les mots : « Toute fraîche, venant droit de la campagne. » Puis ce fut elle-même que la dame appela : elle lui dit que le vieux monsieur était un écrivain, qu’il avait beaucoup d’argent, et qu’il lui donnerait tout ce qu’elle voudrait si seulement elle savait lui plaire. Effectivement elle lui plut, et l’écrivain lui donna vingt-cinq roubles, en lui promettant de la revoir souvent. Cet argent fut d’ailleurs vite dépensé : Katucha en remit une partie à sa cousine en paiement de sa pension ; avec le reste, elle s’acheta une robe, un chapeau, et des rubans. Quelques jours après, l’écrivain lui fixa de nouveau un rendez-vous ; elle y vint ; il lui donna de nouveau vingt-cinq roubles, et l’engagea à s’installer en chambre garnie.

Dans la chambre que l’écrivain avait louée pour elle, la Maslova fit connaissance avec un commis de boutique, un joyeux garçon, qui demeurait dans la même cour. Elle s’éprit de lui, avoua la chose à l’écrivain, qui, aussitôt, la quitta ; et le commis, après lui avoir promis de l’épouser, ne tarda pas à la quitter à son tour. La jeune femme aurait volontiers continué à vivre seule en garni, mais cela lui fut défendu : on lui apprit qu’elle pouvait bien, en vérité, vivre de cette façon, mais seulement à la condition de prendre, au bureau de police, une carte rouge, et de se soumettre à l’examen médical.

Alors Katucha revint chez sa cousine. Celle-ci, la voyant vêtue d’une robe à la mode, avec un beau chapeau et un manteau de fourrure, l’accueillit avec respect, et n’osa plus lui proposer d’entrer dans son atelier ; elle la jugeait désormais promue à une classe