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RÉSURRECTION

feignant de n’en rien savoir. Et ses yeux se fixèrent sur Nekhludov avec une joie profonde.

— Oui, je vais partir par le train suivant !

La Maslova ne répondit rien ; elle soupira et baissa les yeux.

— Est-ce que c’est vrai, barine, que douze prisonniers sont morts en chemin ? — demanda une des détenues, une vieille paysanne aux traits accentués.

— Je n’ai pas entendu dire qu’il y en eût douze ; mais moi-même j’en ai vu emporter deux, — répondit Nekhludov.

— Oui, on dit qu’il y en a douze. Est-ce qu’on ne va rien leur faire, à ces bourreaux ?

— Et parmi les femmes, il n’y a pas eu d’accident ? — demanda Nekhludov.

— Nous autres femmes, nous avons la vie plus dure ! — répondit en riant une autre détenue. — Mais voilà qu’il y a une femme qui a imaginé d’accoucher, en arrivant ici. Tenez, l’entendez-vous gémir ? — ajouta-t-elle en désignant du doigt le wagon voisin.

— Vous m’avez demandé si je n’avais besoin de rien, — dit la Maslova en s’efforçant de contenir son sourire joyeux. — Eh bien ! ne vous occupez pas de nous faire avoir de quoi boire ; mais peut-être pourriez-vous dire aux chefs du convoi qu’on transporte cette malheureuse à l’hôpital, car elle est sûre de mourir si on la force à continuer la route !

— Oui, je vais en parler !

Et Nekhludov s’éloigna, pour céder la place au mari de Fédosia, qui venait enfin d’être admis à s’approcher du wagon. Mais longtemps il dut courir sur le quai sans trouver personne à qui s’adresser. Les gardiens du convoi semblaient plus affairés d’instant en instant. Les uns s’occupaient de placer des prisonniers, d’autres d’acheter des provisions pour la route ou d’installer leurs effets dans les wagons ; d’autres encore s’empressaient auprès d’une dame, la femme d’un officier, qui s’apprêtait à partir avec son mari. Pas un n’avait le loisir d’écouter Nekhludov.