Page:Tolstoï - Résurrection, trad. Wyzewa, 1900.djvu/433

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
429
RÉSURRECTION

— Je pars parce que je le dois ! — répondit Nekhludov d’un ton sérieux et sec, comme s’il eût voulu couper court à l’entretien.

Mais aussitôt il se reprocha cette attitude à l’égard de sa sœur. « Pourquoi ne pas lui dire tout ce que je pense ? — songea-t-il. — Je sais bien qu’Agrippine Petrovna nous écoute ; mais, bah ! qu’elle entende aussi ! »

— Tu me parles de mon projet de mariage avec Katucha ! — s’écria-t-il d’une voix frémissante. — Eh bien ! c’est vrai que j’ai formé ce projet, et dès le premier jour où je l’ai retrouvée ; mais elle, nettement et résolument, elle a refusé de se marier avec moi ! Elle ne veut pas de mon sacrifice ! Elle préfère se sacrifier elle-même ; car son mariage, dans la situation où elle est, aurait pour elle bien des avantages. Mais moi, je ne puis pas admettre qu’elle se sacrifie ! Et maintenant je pars avec elle ; et où elle ira, j’irai ; et de toutes mes forces j’essaierai de l’aider, d’adoucir son sort !

Nathalie Ivanovna ne répondit rien. La vieille gouvernante, hochant la tête d’un air désolé, regardait tour à tour Nekhludov et sa sœur.

En cet instant, sur la porte du salon des dames, se montra de nouveau le solennel cortège. Le beau valet de chambre Philippe et le portier à la casquette galonnée emportaient la vieille princesse pour la mettre dans son wagon. Parvenue au milieu de la salle, la vieille dame arrêta les porteurs, fit signe à Nekhludov de s’approcher d’elle, et lui tendit craintivement sa main blanche chargée de bagues, comme pour l’inviter à ne la serrer qu’avec précaution.

— Quelle épouvantable chaleur ! — dit-elle. — C’est un supplice pour moi ! ce climat me tue.

Quand elle eut fini de se plaindre du climat et de sa santé, elle fit signe aux porteurs de se remettre en route.

— Vous viendrez nous voir à la campagne, sans faute, n’est-ce pas ? — dit-elle encore à Nekhludov, en retournant vers lui son long visage, avec un sourire de ses fausses dents.

Nekhludov s’avança sur le quai. Le cortège de la prin-