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RÉSURRECTION

— Vous n’avez jamais passé en justice ?

— Aussi vrai qu’il y a un Dieu, jamais !

— Avez-vous reçu une copie de l’acte d’accusation ?

— Nous l’avons reçue.

— Asseyez-vous ! Euphémie Ivanovna Botchkov ! — poursuivit le président en s’adressant à l’une des deux femmes.

Mais Simon continuait à rester debout et cachait la Botchkova.

— Kartymkine, asseyez-vous !

Kartymkine restait toujours debout. Il ne s’assit que quand l’huissier, inclinant la tête et ouvrant de grands yeux sévères, lui intima, d’une voix tragique, l’ordre de s’asseoir.

Le prévenu s’assit alors avec la même précipitation avec laquelle il s’était levé, et, s’enveloppant dans son manteau, se remit à agiter les lèvres.

— Votre nom ?

Avec un soupir de fatigue, en homme impatienté d’avoir toujours à répéter la même chose, le président se tourna vers l’aînée des deux femmes, sans même lever les yeux sur elle et sans cesser de consulter un papier qu’il tenait en main. Cette procédure lui était devenue si familière que, pour aller plus vite, il pouvait parfaitement s’occuper de deux choses à la fois.

La Botchkova avait quarante-trois ans. Condition, bourgeoise. Métier, femme de chambre dans le même Hôtel de Mauritanie. Elle n’avait jamais passé en jugement. Elle avait reçu la copie de l’acte d’accusation. Elle répondait aux questions du président avec une hardiesse provocante, comme si elle disait : « Eh bien, oui, je suis Euphémie Botchkov, et j’ai reçu la copie, et je m’en vante, et je ne permets à personne d’en rire ! » Elle n’attendit pas qu’on lui dît de s’asseoir, et s’assit dès que l’interrogatoire fut fini.

— Votre nom ? — dit le président en s’adressant avec une douceur toute particulière à l’autre prévenue. — Il faut vous lever ! — ajouta-t-il d’un ton affable, en remarquant que la Maslova restait assise.