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RÉSURRECTION

sa propre pensée ; et, ce qu’il avait décidé qu’il devait faire, il le faisait.

Sa raison lui avait affirmé, pendant qu’il était encore au collège, que la fortune possédée par son père, riche magistrat, était acquise injustement ; et aussitôt il avait déclaré à son père que cette fortune devait être restituée au peuple. Puis, comme son père, loin de vouloir l’écouter, l’avait grondé, il avait quitté la maison paternelle et renoncé à jouir jamais d’aucun des avantages de sa condition.

Il avait ensuite décidé, toujours en ne s’inspirant que de sa raison, que tout le mal qui existait en Russie avait pour unique cause l’ignorance du peuple ; et en conséquence, sitôt sorti de l’Université, il s’était fait nommer maître d’école dans un village et s’était mis à expliquer, aussi bien à ses élèves qu’à tous les paysans, ce qu’il estimait qu’ils devaient savoir.

Il avait été arrêté et jugé.

Au moment de comparaître devant le tribunal, il avait décidé que les juges n’avaient pas le droit de le juger ; et tout de suite il leur avait dit. Et comme les juges, sans admettre sa thèse, continuaient à vouloir le juger, il avait pris le parti de ne pas leur répondre ; en effet il n’avait plus dit un mot jusqu’à la fin du procès. Reconnu coupable, il avait été condamné à la déportation dans une petite ville du gouvernement d’Archangelsk.

Là, il s’était constitué une doctrine religieuse, qui depuis lors, le dirigeait dans toute sa conduite. Cette doctrine consistait à admettre que tout, dans l’univers, était vivant, que la mort n’existait pas, que tous les objets qui nous paraissent inanimés n’étaient que des parties d’un grand ensemble organique ; et que, par suite, le devoir de l’homme était d’entretenir la vie de ce grand organisme dans toutes ses parties.

Il en concluait que c’était chose criminelle d’attenter à la vie sous quelque forme que ce fût : il n’admettait donc ni la guerre, ni les prisons, ni le meurtre des animaux.