Page:Tolstoï - Résurrection, trad. Wyzewa, 1900.djvu/579

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De deux choses l’une : ou bien elle s’était prise d’amour pour ce Simonson, et vraiment elle n’avait plus besoin du sacrifice de Nekhludov ; ou bien elle continuait à l’aimer, lui, Nekhludov, et c’était pour le dégager de son fardeau qu’elle unissait sa vie à celle de Simonson.

Clairement, Nekhludov se rendit compte de cette alternative. Et il eut honte. Il se sentit rougir.

— Si tu l’aimes… dit-il.

— Moi, voyez-vous ? jamais je n’ai connu des hommes de cette espèce-là ! Comment ne pas les aimer ? Et puis, Vladimir Ivanovitch, il est si différent des autres !

— Sans doute ! — reprit Nekhludov d’une voix tremblante. — C’est un homme excellent, et je crois…

Mais elle l’interrompit de nouveau, comme si elle eût craint qu’il dît ce qu’il allait dire. Ou peut-être était-ce elle-même qui tenait à lui dire tout.

— Non, non. Il faudra que vous nous pardonniez de ne pas faire ce que vous voulez…, — murmura-t-elle. — C’est que vous, vous avez besoin de vivre !

Ce qu’il venait de se dire, ce qu’il s’était dit déjà dans la chambre des enfants, chez le gouverneur, voici que Katucha le lui répétait !

Mais déjà il avait cessé de se dire cela. De tout cela nulle trace déjà ne restait plus en lui : il avait de nouveau d’autres sentiments et d’autres pensées. Il avait honte, il avait peur, l’angoisse l’étreignait.

— Et ainsi tout est désormais fini entre nous ? — demanda-t-il.

— Mais oui, c’est à croire que oui ! — répondit-elle avec un étrange sourire.

— Je serais pourtant bien heureux de pouvoir te rendre service…

— Nous n’avons besoin de rien ! (Elle regarda Nekhludov dans les yeux, en prononçant ce nous.) Je vous dois déjà assez comme ça ! Sans vous…

Et elle voulut ajouter quelque chose ; mais soudain sa voix faiblit. Elle baissa la tête et ne dit plus rien.

— Je ne sais pas qui de nous deux doit le plus à